Johannes Pramsohler dirige Crésus de Reinhard Keiser à l’Athénée. L’occasion de redécouvrir un maître du baroque, injustement oublié.
Qui était ce Reinhard Keiser, musicien presque oublié aujourd’hui mais tenu par ses contemporains comme le plus grand compositeur vivant ?
Son cas ressemble un peu à celui de Telemann qui était considéré à l’époque comme un musicien plus important que Bach. Sans doute parce que Telemann et Keiser écrivaient une musique moderne, considérée comme avant-gardiste, alors que l’ambition de Bach était plutôt de réussir la synthèse de la musique de son temps. C’est pourquoi toute l’Allemagne s’arrachait Keiser qui était le directeur de l’Opéra de Hambourg : le premier Opéra de l’histoire de la musique à ne pas dépendre d’une cour. Hambourg était le centre de la musicale vocale de l’époque, ainsi que celui de la théorie musicale.
En quoi le style de Keiser était-il si moderne ?
Le baroque est né en Italie. Puis il est arrivé en France. C’est seulement après qu’il s’est développé en Allemagne et en Angleterre, deux pays où on essayait d’imiter la France et l’Italie en mélangeant le baroque de Versailles et le baroque italien. Keiser essayait d’incorporer des éléments venus de partout. Par exemple Crésus contient, comme dans l’opéra italien, une symphonie plutôt qu’une ouverture à la française. Keiser a vraiment un style inclassable. Les airs sont très variés : ils ne sont pas tous da capo (un air en trois parties dont la troisième reprend la première) mais contiennent plusieurs parties très contrastées (ce qu’on ne trouve pas chez Haendel par exemple). De plus Keiser donne le sentiment de composer ses opéras d’un seul trait, un peu comme Gluck le fera plus tard. Il ne propose pas seulement une succession de morceaux mais sait manier l’art combinatoire : à partir d’une idée musicale, il crée une multitude d’idées. D’ailleurs tout va très vite dans ses opéras. C’est un peu comme si on regardait une série sur Netflix !
Retrouve-t-on dans Crésus le mélange de trivial et de sublime qui caractérise le baroque ?
Tout à fait. Crésus traite une grande multiplicité d’affects (il y a des sentiments grandioses, d’autres comiques, et aussi beaucoup d’airs d’amour). De plus, Keiser réussit à ce que tous les personnages soient très bien caractérisés musicalement. Ainsi Cyrus chante tous ses airs, accompagné de trompettes et cymbales et Atys, lui, est toujours accompagné d’une flûte. Autre exemple : tous les airs où il est question d’amour sont écrits en La majeur. Keiser est vraiment un compositeur qui construit ses opéras et pas du tout, comme c’était souvent le cas à l’époque, un musicien qui écrirait pour faire briller les quelques solistes du moment.
Vous ne vous contentez pas de diriger l’orchestre, vous jouez aussi du violon…
Oui, je ne travaille pas comme un chef traditionnel. À l’époque de Keiser, il n’existait pas de chefs d’orchestre comme nous les connaissons aujourd’hui. C’étaient le claveciniste et le premier violon qui se relayaient pour conduire l’orchestre. Je vais essayer de diriger cet opéra en jouant du violon. Mon objectif est de rendre les musiciens les plus autonomes possible pour que le rôle de chef passe naturellement du violon, au chanteur, etc., comme dans la musique de chambre.
Crésus, musique Reinhard Keiser, direction musicale Johannes Pramsohler, mise en scène Benoît Bénichou, avec l’ensemble Diderot, du 30 septembre au 10 octobre à la grande salle de l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Plus d’informations en suivant ce lien.