Rodolphe Dana revient avec Bartleby qu’il met en scène avec Katja Hunsiger. Nous l’avons appelé à Lorient où il répète cette création.
Lorsque j’appelle Rodolphe Dana en ce matin pluvieux, j’ai -magie du téléphone- un peu l’impression de me promener avec lui. J’entends le vent mugir et le pas vif du metteur en scène dans les rues de Lorient tandis qu’il marche vers le théâtre qu’il dirige depuis 2015. Sa voix est chaleureuse et enjouée. Il m’explique que sa vocation s’est révélée presque par hasard. Un désir né d’une scolarité difficile dans laquelle il ne voyait pas d’intérêt me confie Rodolphe Dana en toute sincérité. Et puis, à dix-huit ans, il découvre le cinéma. Et le théâtre, grâce à l’adaptation cinématographique de Cyrano de Bergerac avec Gérard Depardieu. De film en film, à travers les acteurs et les dialogues se révèlent la littérature et sa capacité inouïe à générer des mondes pour s’extraire du réel. Dès lors il se « rattrape », lit avec avidité et s’inscrit au Cours Florent, où il rencontre la plupart de ceux qui font encore partie du collectif, Les Possédés, qu’il rassemble en 2002. Il y découvre son métier où il faut, dit-il, « trouver le sens caché derrière la phrase, comme un trésor » se remémore-t-il avec passion. C’est aussi là qu’il rencontre les Tg Stan. Leur approche ludique, pleine d’humour des textes classiques le séduit et l’influence. Tout comme la possibilité de changer les fonctions au sein du collectif, que chacun puisse être, s’il le souhaite, « comédien, metteur en scène, un peu scénographe ou un peu éclairagiste ».
Rodolphe Dana adore adapter des romans. Sa rencontre avec Bartleby provient d’un autre livre de Melville, Moby Dick. Fasciné par le Capitaine Achab, il lit tout ce qu’il trouve sur ce personnage et, de fil en aiguille, tombe sur Bartleby. Le contraste entre l’action de Moby Dick au milieu de l’océan et celle de Bartleby, dans l’atmosphère ouatée d’un bureau au cœur de Manhattan, le saisit. La découverte du personnage éponyme et mystérieux de la nouvelle est un choc. Cet employé sidère son patron par cette célèbre phrase simple, polie et catégorique « I would prefer not to» (Je ne préfèrerais pas) à laquelle il ne déroge pas. « Je le vois comme un homme qui décide d’arrêter la surcroissance. La figure de la désobéissance passive », me dit Rodolphe Dana. Katja Hunsinger et lui ont confié le rôle de Bartleby à Adrien Guiraud, « parfait pour ce rôle, glabre, impassible, souriant mais un peu hostile ». A-t-il eu envie de jouer Bartleby ? Il éclate d’un rire malicieux. « Aujourd’hui je suis patron du théâtre de Lorient, j’ai dû faire des petits parallèles dans ma tête, j’ai pris le rôle du patron ! ». Plaisanterie à part, « le pouvoir isole », me dit-il, avant d’ajouter qu’il n’aurait jamais postulé pour la direction du théâtre sans être sûr qu’une partie de son collectif l’y suive. Sa fascination pour Bartleby vient aussi du rapport au pouvoir, de « l’absence de volonté que Bartleby tend à son patron comme un miroir ». L’angoisse du patron de Bartleby – que l’activité économique soit réduite à cause d’un salarié et les pulsions de mort qui l’accompagnent, entre en résonnance, pour Rodolphe Dana, avec notre société ultra-libérale et les extrémités auxquelles elle pousse certains patrons. Il faut « que le public soit dans le même inconfort que le patron, une forme d’inquiétude et de rire ». Entre Kafka et Tati, Bartleby promet d’exprimer le refus par le rire, la folie et l’angoisse. L’intranquillité de la nouvelle doit devenir vivante dans les corps.
Bartleby, d’Herman Melville, mise en scène de Rodophe Dana, du 4 au 7 novembre au Théâtre de Lorient, les 24, 25, 26 Novembre au Quartz de Brest, les 11, 12 février 2021 au Théâtre de Sartrouville.