Chef d’orchestre emblématique du baroque d’aujourd’hui et à la tête de l’Ensemble Pygmalion, qui joue sur instruments d’époque, Raphaël Pichon prend ses quartiers à l’Opéra-Comique pour une nouvelle production d’Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau, très attendu.
Vous avez une relation privilégiée avec l’Opéra Comique…
Oui. L’Opéra Comique est pour nous un lieu de création avec lequel nous avons une relation de confiance. Ce n’est pas une maison de passage. C’est une sorte de laboratoire qui nous permet de continuer à questionner les grands chefs-d’œuvre du répertoire et à réfléchir sur la façon de les faire vivre aujourd’hui. Finalement la musique, depuis la nuit des temps, n’a fait que repousser les frontières, celles de ses langages, de ses formes…
Hippolyte et Aricie fut créé en 1733, comment le réinterpréter en 2020 ?
Hippolyte et Aricie est sans doute l’œuvre la plus emblématique de Rameau, c’est son premier opéra et c’est le plus révolutionnaire. C’est assez étonnant car Rameau a alors cinquante ans, ce qui fait de lui au XVIII siècle, un vieillard. Il a une réputation limitée à un cercle circonscrit d’amateurs, comme intellectuel et théoricien. Dans ce premier opéra, il arrive et il casse tout, tout en ayant assimilé les attentes et codes de l’opéra français de cette époque. Il ouvre un champ des possibles que ce soit musicalement ou structurellement. L’œuvre a été ressuscitée à la scène en 1983 par John Elliott Gardiner à Aix-en-Provence. Puis il y a eu la production à Garnier et à Toulouse d’Emmanuelle Haim et Ivan Alexandre où l’option prise était celle d’un fantasme autour d’une vision historique de cet opéra, un appareil scénique qui essayait de recréer une forme de merveilleux typique de cette époque. Nous avons fait le choix de nous affranchir totalement de l’approche historique du point de vue scénique pour aller vers une approche purement dramatique afin de saisir l’intemporel et l’universel. Et si cette oeuvre était en fait la grande oeuvre dramatique de Rameau ? Et si les personnages étaient plus denses que ce que l’on pensait ?
Sur quoi vous appuyez-vous ?
Rameau avait pour habitude de réécrire ses oeuvres au fur et à mesure des reprises. Nous avons souhaité utiliser la dernière version de la partition, qui est la plus condensée. Par exemple il n’y a plus de prologue, on rentre directement dans la tragédie. Il y a moins de danses, plus d’airs de caractères. On passe plus de temps avec les personnages. Cette oeuvre, c’est aussi la naissance de la notion de climat, de la couleur à la française. Cela se manifeste par un génie complet de la part de Rameau : des finesses et audaces harmoniques, une réinvention rythmique constante et aussi des effets dramatiques de rupture. Avec l’Ensemble nous souhaitons réussir à révéler cela musicalement, au service du projet dramaturgique de Jeanne Candel. Il s’agit de faire vivre cette histoire pour qu’elle nous transforme, qu’elle nous touche.
Cela m’amène à aujourd’hui, où le besoin d’art se manifeste dans une période si complexe pour le spectacle vivant…
On est bouillonnant à l’idée de remonter sur scène. Il y a une faim de loup et en même temps, tout le monde est animé par un devoir de responsabilité, de prudence et d’exemplarité. Je suis fier de voir que la musique classique a démontré le rôle important qu’elle avait à jouer dans cette crise, notamment les ensembles indépendants qui n’ont cessé de se réinventer à travers des projets de médiation, en allant au-devant du public ou en élaborant de nouvelles formes.
Mais est-ce que ces ensembles vont survivre ?
Pendant plusieurs mois, on a été les oubliés mais cette crise est l’occasion de réaliser que le monde indépendant doit être plus largement soutenu, à la hauteur de ce qu’il apporte à la vie culturelle française. Il existe une complémentarité exceptionnelle en France entre de grandes institutions et ces acteurs indépendants. Et il faut absolument s’assurer que les jeunes générations soient soutenues pour continuer à se développer, à pouvoir créer de nouveaux ensembles.
Hippolyte et Aricie, diffusion samedi 14 novembre à 20h sur Arte Concert. Plus d’informations en suivant ce lien.