Avec L’Enfer des anges, Christian-Jaque signait un poignant plaidoyer pour l’enfance malheureuse.
Balayée d’un revers de main sous l’étiquette « Qualité française » dans un article fameux de François Truffaut, et longtemps laissée aux oubliettes, l’œuvre de Christian-Jaque fait depuis un moment déjà l’objet d’une juste entreprise de réhabilitation. Comme certains de ses confrères étrillés par les cinéastes de la Nouvelle vague (on peut penser à Jean Delannoy, à Henri Decoin ou à Claude-Autant Lara), la filmographie de Christian-Jaque, si elle cède parfois au conformisme dévitalisé justement fustigé par le réalisateur des Quatre cents coups, comprend néanmoins d’indéniables réussites. Je pense notamment à Un revenant (écrit par Henri Jeanson), aux Disparus de Saint-Agil et, bien sûr, à Fanfan la Tulipe. Ou encore à L’Enfer des anges auquel rend justice aujourd’hui une superbe restauration éditée par Pathé. Un film dont l’invention plastique, la rigueur formelle et les fulgurances visuelles ne manqueront pas de surprendre un spectateur peu averti des sommets poétiques auxquels sut se hisser le cinéma français des années trente et quarante. D’ailleurs le jury présidé par Amos Gitai du Festival Cannes 39 qui se tint l’année dernière à Orléans ne s’y trompa pas : il discerna au film de Christian-Jaque le Prix du jury.
Se présentant comme un cri d’alarme face à « la détresse de l’enfance abandonnée » (à une époque où les plus jeunes peuvent être punis pour « délit de vagabondage » et où existent encore des « maisons de redressement » pour les moins sages d’entre eux), L’Enfer des anges s’offre d’abord comme un drame social. On y suit les pérégrinations de deux enfants – Lucien et Lucette – livrés à eux-mêmes dans un sinistre bidonville de l’est parisien. Lui a été laissé pour mort par son père après avoir été battu à coups de fer à repasser. Elle s’est enfuie d’une maison de redressement, justement. S’appuyant sur la solidarité de leur bande (dans laquelle on reconnaît le jeune Marcel Mouloudji), Lucien et Lucette tentent de survivre. Fort d’un tel canevas, le film de Christian-Jacque aurait pu se contenter de décrire de façon réaliste et misérabiliste le déplorable quotidien de l’enfance malheureuse. Mais, grâce à l’éclairage quasi-expressionniste du chef opérateur allemand Otto Heller et à un cadrage qui sait tirer un effet expressif de l’agencement des volumes dans l’espace (Christian-Jaque fit des études d’architecture avant d’être cinéaste), L’Enfer des anges se regarde comme un véritable film noir. À savoir un film sombre explorant la noirceur de la condition humaine et s’inscrivant par là dans la veine pessimiste du cinéma français des années trente et quarante (celui de Julien Duvivier, d’Yves Allégret ou de Jacques Feyder). Une veine qui a donné naissance à une série de joyaux sombres et déchirants dont L’Enfer des anges fait incontestablement partie.
L’Enfer des anges de Christian-Jaque, Combo Blu-ray DVD, Pathé.
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