Estomacs délicats et rétines effarouchées s’abstenir ! Rosson Crow (née en 1982), génome texan, résidente californienne, ne fait pas dans la dentelle. Américaine, au meilleur sens du terme, jusqu’au bout des ongles sans doute peints, tout est « bigger than life » dans sa peinture : l’échelle, le maelström des couleurs, véritable sabbat chromatique, l’ambition, aussi, qui orchestre mille collisions entre les périodes historiques, mixe écume de la pop culture et réminiscences de l’Histoire de l’art. Car, passé le choc visuel, c’est bien, tout compte fait, un travail de dentellière que révèlent ses toiles. Mais sous acide…
Sur Redecorating the Study, un personnage de cowgirl a pour reflet dans un miroir Clint Eastwood. C’est une façon de jouer avec les genres ?
Jouer avec les notions de masculin et de féminin m’a toujours attirée. Et je trouve intéressant qu’on considère mon travail comme « masculin » à cause de son échelle et de son côté assuré et provocant. Pour une très large partie, mon œuvre est liée à l’Histoire, et l’Histoire donne souvent l’impression d’être masculine – c’est la version des hommes qui l’ont faite. Mais il y a bien sûr une facette féminine de l’Histoire, et la juxtaposition des deux m’intéresse.
Une toile comme See Destruction ! (Not Responsible for Accidents) donne le sentiment de se décomposer. Vous diriez qu’il y a une pulsion autodestructrice dans votre art ?
Oui. Je m’attache beaucoup au processus de création et de destruction simultanées d’une image, à la façon dont l’exécution d’un tableau crée des accidents, des événements impossibles à prédire ou à contrôler. Ces événements rendent l’œuvre vivante. Je commence mes tableaux par un collage. Je passe beaucoup de temps à créer une image, j’y réfléchis beaucoup, et puis l’acte même de peindre, d’une certaine façon, la détruit. Je n’aime pas les choses trop minutieusement contrôlées, l’œuvre doit avoir une force vitale, une énergie, elle ne doit pas donner l’impression d’être trop contrainte.
Avec la débauche de couleurs de vos tableaux, on ne s’attendait pas à ce que le titre de l’exposition soit un clin d’œil à celui du film d’Alain Resnais, L’Année dernière à Marienbad…
L’Année dernière à Marienbad est une de mes œuvres d’art favorites et m’inspire depuis longtemps. Le film recoupe un grand nombre de motifs qui sont les miens : l’Histoire, la mémoire et les souvenirs faussés. Et il se déroule comme un rêve, extrêmement visuel et pictural.
Vous tenez à perturber nos perceptions avec vos tableaux ?
Le sentiment de désorientation que suscitent mes tableaux, leur côté hallucinatoire sont essentiels : je tiens à ce que le spectateur ressente les effets psychologiques des espaces que je crée. J’adore le psychédélisme des années 60 et la contreculture. Lorsqu’on peint, les choses ne sont pas censées être logiques et on peut vraiment ouvrir son esprit, éprouver l’espace et le temps autrement. Du point de vue technique, je multiplie les couches : d’abord une sous-couche, puis la superposition des transferts photographiques, et la peinture à l’huile qui couvre toute la toile. L’image ainsi fracturée facilite les effets de désorientation.
On pense tout de suite au Douanier Rousseau devant The Stars Did Fall (at the Sunken Gardens)…
Bien sûr que j’ai pensé au Douanier Rousseau ! Ses paysages luxuriants, oniriques, m’ont toujours fascinée. Quelle puissance ! Mes tableaux sont nourris de tant de références, de Jean-Honoré Fragonard à Frederic Remington, de Francis Scott Fitzgerald aux autocollants des pare-chocs, de la pop culture à la littérature italienne fantastique. Je puise mon inspiration presque partout (vous aurez compris que je suis une « maximaliste » !).
Exposition Next Year at Marienbad, jusqu’au 30 janvier, galerie Nathalie Obadia. Plus d’informations en suivant ce lien.