Dans la riche couche nuageuse de l’expo Stormy Weather, on a retenu, entre autres, deux œuvres, celles de Christiane Peschek et Yein Lee. Micro-entretien croisé express, comme un flash météo.
L’Autrichienne Christiane Peschek a su trouver, avec ses Velvet Fields, la contrepartie formelle et matérielle de ce paradoxe (qu’on qualifierait volontiers d’ontologique si le terme n’avait pas une gravité mal adaptée à l’apesanteur des nuages) qu’est le cloud numérique : un presque rien – plaque de verre filigranée d’un nuage, papier peint – qui module imperceptiblement la luminosité et colore la transparence de l’air, affectant ainsi durablement, et comme à notre insu, notre perception et notre environnement. Un phénomène, au sens le plus rigoureux du terme : une apparition. Donc inscrit dans le temps, susceptible d’un avant, d’un après et de mutations dans l’intervalle. Cette histoire du cloud, c’est précisément celle que tracent les câbles de l’installation de la Coréenne Yein Li. Résurgence têtue de la matérialité du hardware qui permet l’existence des clouds, anastomose de conduits industriels qui pourraient tout aussi bien calquer la toile des connexions neurologiques ou, plus loin encore, plus archaïquement, évoquer on ne sait quel amas de tentacules, quelle jungle aux lianes pendantes – Atmospheric Trouble réintroduit le temps dans l’évanescence du cloud.
Câbles, silicone : Yein Lee, vous prenez le contrepied de l’immatérialité du cloud…
Ce qui m’intéressait, c’était d’aborder le « wetware » – les réseaux organiques et neuronaux – et ainsi d’élargir le concept même de réseau. Et justement le silicone a l’apparence de la matière organique…
Cette épaisseur organique est absente de votre œuvre, Christiane Peschek, qui s’aventure du côté de l’impalpable…
L’œuvre a été conçue pour l’exposition et pour le lieu, mais elle appartient à une série en cours qui cherche à explorer l’arrière-plan des images, à déconstruire ces images dont on dirait qu’elles sont parfaitement mises en scène. Dans le cas présent, on voit les coulisses de la photo d’un ciel idéal : en postproduction, on peut, évidemment, tout retoucher pour créer ce genre de vues. Déconstruites, ces dernières fournissent parfois des constellations d’éléments particulièrement intéressantes, et beaucoup plus honnêtes que la « réalité » qui apparaît dans la photo. [Elle pointe le bleu du papier peint] ainsi, ce bleu céleste est le résultat d’un retravail sur Photoshop. Quant au nuage sur la plaque de verre, il semble tout droit sorti d’une Nature et d’une Création parfaites, mais il ne s’agit pas d’un véritable nuage, il a été conçu par ordinateur. C’est aussi de cette façon une métaphore des changements de sens qui ont affecté le nuage : symbole de l’au-delà paradisiaque pour l’Eglise, aujourd’hui c’est l’espace où nous enregistrons tout.
Yein Lee, votre installation, en soulignant la matérialité souvent ignorée à laquelle s’adosse notre monde numérique, soulève la question de l’environnement…
J’ai utilisé beaucoup de matériaux de récupération et d’occasion, pour les câbles. Lorsque le nouvel iPhone sort, tout le monde le veut, mais on a tendance à oublier notre consumérisme effréné, on utilise notre portable tous les jours, mais que devient-il après ? Tapez « déchets informatiques » sur Google et vous verrez que l’Asie du Sud-est, par exemple, est un véritable dépotoir. Je voulais rendre visible cet aspect des choses que nous oublions trop souvent. aussi, lorsqu’on utilise notre téléphone portable ou notre ordinateur, qu’on tente de se connecter à la wifi ou d’utiliser Bluetooth, on pense que tout se fait à distance, sans fil – mais il y a des matériaux physiques qui entrent en jeu, tous ces câbles sous les océans, autour de la planète.
Exposition Stormy Weather, Centre culturel suisse, jusqu’au 14 avril https://ccsparis.com/event/stormy-weather