L’artiste Renaud Auguste-Dormeuil a invité une soixantaine d’artistes et professionnels de l’art à créer la page manquante d’un ouvrage de leur choix. La profusion et la variété des propositions exposées permettent de se perdre dans les singularités de ces choix de réparation.
Étudiant aux Beaux-Arts de Paris, Renaud Auguste-Dormeuil avait toujours une photo de lui dans sa poche, qu’il glissait dans les cadres des photos de famille de ses hôtes. Plus tard, l’artiste se souvient avoir feuilleté un catalogue d’autoportraits et pensé qu’il y manquait sa présence, « même si je n’en avais jamais réalisé », s’amuse-t-il. L’exposition La page manquante est en quelque sorte l’aboutissement de ces deux moments à travers lesquels l’artiste pense la stratégie d’insinuation pour exister. Mais pour éviter le côté égocentrique, précise-t-il, il a développé un projet collectif. En collaboration avec Stéphanie Pécourt, directrice du Centre Wallonie Bruxelles, il a invité des artistes et des acteurs du milieu de l’art à présenter leur page manquante et, à travers leur choix, leur singularité. La scénographie apparente l’exposition à un banquet composé de plusieurs tables sur lesquelles, en lieu et place des couverts, des livres complétés. Le regard glisse de table en table, s’arrête sur un livre reconnu, une image, une lettre, un rouleau dessiné, un ipad. Sous chaque proposition apparaît un cartel, réminiscence du premier volet qui se tint au Musée des Moulages de l’hôpital Saint-Louis à Paris en 2019 et qui fut réalisée en collaboration avec Marc-Olivier Wahler. « Une manière de montrer qu’on peut revenir en arrière dans le temps », souligne Renaud Auguste-Dormeuil. Tout comme le fait d’y noter les noms des créateurs au crayon gris, matériau parfaitement effaçable. Après un premier tour d’horizon pour découvrir les hôtes de cette réception, le visiteur peut reprendre la visite et s’arrêter patiemment devant chacune des œuvres.
Il y a tout d’abord les invités, artistes et auteur, qui ont souhaité réparer une erreur passée ou une injustice. Paul Ardenne, auteur de « Un art écologique », fait son mea culpa en avouant son manque d’engagement au moment de la catastrophe de Tchernobyl. « La vérité c’est que je n’ai pas réagi » note-t-il à côté du livre La supplication de Svetlana Alexievitch. Le critique d’art Bernard Marcelis revient sur l’absence injustifiée d’une photographie d’une œuvre de Daniel Buren en illustration d’un article qu’il avait rédigé pour la revue l’Oeil. L’artiste Sylvie Blocher raconte le conflit qui l’a confronté à l’institution du Centre Pompidou à l’occasion de l’accrochage Elles@centrepompidou. Yann Beauvais partage lui aussi un litige avec la même institution et précise dans un mot qui accompagne le catalogue de l’exposition problématique « les institutions artistiques ne font que reproduire et perpétuer les termes du néolibéralisme ».
D’autres invités redonnent une place de choix à des artistes méconnus, telle Alina Szapocznikow selon Arnaud Labelle Rojoux ou Berthe Morizot que Julie Rouart ajoute au Petit Larousse de l’Histoire de l’Art. D’autres encore révèlent la faible représentativité des femmes, notamment dans les collections de musées français (Julie Crenn). Tandis que Bruno Peinado glisse dans l’Histoire des Antilles Françaises les trois mots Reconnaissance Réparation et Réconciliation, comme incisés dans un mur et barrés.
Enfin, certains affirment avec humour le besoin d’exister ou d’être reconnu. Julien Berthier ajoute son véhicule 100% dépendant d’autrui à un catalogue des inventions. Philippe Ramette présente une lettre manuscrite de Marcel Duchamp affirmant, au futur, son vif intérêt pour le travail de Philippe Ramette. Renaud Auguste-Dormeuil expose un catalogue blanc, tirage d’imprimeur avant l’impression finale, et inscrit, tel un cri, TU TE SOUVIENS DE MOI ? Il serait impossible de citer toutes les propositions, mais notons celle de Julie Herry. L’artiste révèle le décalage entre le réel et sa représentation en complétant, par sa propre expérience, les reportages du hors série spécial maison de stars d’un magazine people.
Bien sûre, et c’est d’ailleurs ce qu’il y a aussi d’agréable dans cette exposition, certains rapprochements sont plus complexes à saisir. Sans doute parce ce que ces propositions révèlent les préoccupations tout à fait personnelles de chacun des invités. Tandis que le projet La page manquante affirme la possibilité de réparer les absences, les oublis, les injustices, même dans un objet aussi fini que le livre.
« La page manquante » – Commissariat Renaud Auguste-Dormeuil en collaboration avec Stéphanie Pécourt, directrice du centre.
Du 5 au 14 mars 2021 – sur réservation en suivant ce lien