Collaboratrice des pages cinéma de Transfuge, Séverine Danflous publie S’abandonner aux éditions Marest. Dans ce roman polyphonique, l’auteure cherche à exprimer l’ineffable du dépit amoureux. Magnifique.
En quatrième de couverture de S’abandonner, le deuxième roman de Séverine Danflous, une seule phrase à la police blanche sature le carton noir : « La fin d’une histoire c’est déjà une longue histoire ». Cette histoire particulière, c’est celle d’abord d’un réalisateur de film, un homme qui, à la suite d’une rupture choisit d’aller enregistrer les voix de femmes ayant été abandonnées comme lui. Par ce moyen, il cherche à se reconstruire dans le chagrin des autres. C’est donc à la fois une histoire – la sienne – et d’autres récits captés sur son dictaphone dans de nombreux bars aux quatre coins de la capitale. Tout comme son narrateur, Séverine Danflous ne cherche pas à fabriquer un panel d’expériences mais à saisir la douleur commune à chacune d’entre elles. « Des femmes qui pourraient n’être qu’une seule et même femme à des moments différents de sa douleur. » Elle cherche à les faire converger ensemble, comme un choeur antique, expirant toutes l’ineffable de la douleur afin peut-être de pouvoir s’abandonner et renaître. Toutes, elles convergent, s’agrègent se complètent et crient le désir tari, ce scandale du corps abandonné soudain après avoir communié.
Une témoin parle de l’homme aimé comme d’un magicien, tel Méliès, inondant une femme de couleurs mais « je ne savais pas qu’il repartirait en emportant la palette entière – alors tous les pigments y sont passés. » Parfois, la langue se fait crue, directe, sans ostentation, à l’os quand il s’agit de raconter la vérité nue du corps délaissé. Elle se fait plus sophistiquée quand l’écrivaine – comme elle l’avait fait avec Brune platine – compare et égraine les productions de ses artistes en miroirs à sa propre douleur. La force du livre réside ici, dans cet entre deux sans cesse mouvant, entre sophistication ténue et luxuriance rêche, confession d’amour et distanciation critique (parfois, on sent l’auteure faire la critique de son propre livre en expliquant très exactement ses intentions), lyrisme et sécheresse. À la fin, le narrateur trouve une forme à son documentaire, un film entre confession et trivialité, sublime et quotidienneté, un apparent bric-à-brac qui n’est pas sans rappeler le cinéma d’Alain Cavalier. C’est d’abord au réalisateur d’Irène que l’on songe en lisant le choeur douloureux de S’abandonner. Comment reprendre le mouvement quand il a été soudain arrêté net ? Comment retrouver le désir ? En égrainant des listes d’artistes aimés, en collectant des voix, en imaginant la douleur des autres pour trouver des mots à la sienne, en écrivant de beaux livres où l’on finit, pages après pages, par rendre grâce aux puissances infinies et dévastatrices de l’amour. Beau livre mouvant, animé sans cesse même dans la répétition et où l’écrivaine et critique trouve sa propre voix.
S’abandonner, Séverine Danflous, éditions Marest. Plus d’informations en suivant ce lien.