On s’était pris à espérer un nouveau départ. On s’était pris à se promettre de la fraîcheur, de la sincérité, quelque chose comme un nouvel élan. On se disait qu’après l’abjection politique et morale de la cérémonie de l’année dernière, l’Académie des Césars avait au moins tiré UNE leçon : surtout ne faisons plus de politique ! Surtout ne faisons pas de morale ! Surtout parlons de ce que nous connaissons, de ce que nous faisons, de ce pour quoi nous nous battons : le cinéma, l’art. Eh bien non, patatras, bis repetita, en croyant renouveler la formule, on l’a, en fait, reconduite à l’identique. On a changé les cibles (pour certaines seulement), mais il y avait des cibles. On a changé de politiquement correct, mais il y avait du politiquement correct, on a changé de bonne conscience, mais il y avait de la bonne conscience.
Expliquons-nous : hormis quelques pics bien sentis et justifiées contre l’impuissance de la Ministre de la culture, nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi cette cérémonie s’est encore déroulée, à coups de statistiques et de pourcentages, sous l’étendard d’une idéologie égalitariste. La prestation d’Aïssa Maiga, l’année dernière, n’avait-elle pas été assez embarrassante et humiliante pour l’esprit d’universalisme ? Fallait-il vraiment l’évoquer ? Hélas, oui. Un triste humoriste – Fary – se chargea d’en proposer une analyse de texte (comme si nous n’avions pas compris !). Puis Jean-Pascal Zadi, l’auteur de Tout simplement noir, enfonça le clou en un discours d’une ahurissante confusion (et bêtise) où Frantz Fanon côtoyait Adama Traoré, un discours d’après lequel l’humanisme d’une nation se mesurerait à sa capacité à démonter les statues… Puis on a eu droit au pourcentage des femmes de quarante ans représentées à l’écran… Bref, ce à quoi tous ses discours appelaient, consciemment ou inconsciemment, c’est à la mise en place de quotas : il faudrait que toutes les communautés, toutes les origines, toutes les tranches d’âge, toutes les morphologies, toutes les régions, toutes les religions soient représentés à l’identique. Nous l’avions déjà écrit à propos de la réforme des Oscars (est-ce la même chose qui menace la France ?) : ces combats pour l’égalité prennent une forme totalitaire, l’Histoire nous enseignant que l’opération consistant à transformer des individus en donnée statistique est une marque de fabrique des régimes dictatoriaux. D’autant, rappelons-le, que ce n’est donc pas parce que l’égalité médiatique sera conquise que l’égalité réelle sera assurée. Bref cette nouvelle idéologie égalitariste fait fi de l’idée universaliste selon laquelle nous partageons quelque chose de commun avant que d’être déterminés par une détermination ethnique, sociale, physique ou sexuelle.
Ajoutons que tous ces nouveaux sectarismes (combats pour la parité absolue et la nécessite de quotas, cancel culture, féminisme radicalisé) baignent dans un imaginaire et une mythologie douteux : pourquoi évoquer le sang de la menstruation et les écrits de Hitler quand on défend les intermittents et la réouverture des salles ? Cela sentait à plein nez le refoulé de la mise à mort symbolique et sacrificielle de Roman Polanski l’année dernière…
Consternation donc, consternation profonde : pourquoi une cérémonie des Césars ne peut-elle plus se dérouler sans l’expression d’une bonne conscience sectaire ? Est-ce le monde du cinéma qui est malade ? Le monde de la télévision et des médias ? Le monde de la culture ? La société tout entière, traversée désormais par une pulsion aussi autodestructrice que névrotique, la pulsion de pureté ?