L’Ircam nous permet d’entrer au cœur de la création musicale contemporaine grâce au concert de l’Ensemble C Barré, Mécaniques de l’intuition, qui joue quatre créations de jeunes compositeurs européens. Une merveille à découvrir à partir du 5 avril sur la chaîne YouTube de l’Ircam.
Nouvelle preuve qu’en cette difficile période la création se poursuit, même invisible au public, l’ensemble C. Barré offre un concert d’une richesse et d’une diversité admirables. Le titre même du concert, « Mécaniques de l’intuition » nous annonçait la liberté de ce voyage musical. En ce mois de mars, les jeunes musiciens de Marseille présentaient à un public restreint d’amis et de professionnel quatre pièces produites, enregistrées et diffusées en avril par l’Ircam. Autant d’univers singuliers qu’ils ont pu nous faire découvrir, avec une même maestria. À la baguette, deux chefs, Sébastien Boin et Guillaume Bourgogne. Et à la réalisation, Benjamin Lévy de l’Ircam et Charles Bascou. Bref, une jeunesse sur scène pour créer des pièces de la génération montante de la composition.
La première pièce intitulée « Je ne suis qu’une voix » est une création du jeune compositeur chilien Francisco Alvarado, formé notamment par Stefano Gervasoni au Conservatoire et qui a déjà marqué les esprits par diverses compositions présentées à l’abbaye de Royaumont ou à Musica. Il nous plonge ici dans les arcanes d’un logiciel de conversation. S’ouvrant sur une voix féminine type, un Siri au féminin, la musique s’enroule dans une variation et une décomposition de la voix robotique. Un étonnant mystère se déclenche alors au gré de cette musique qui prend de l’ampleur jusqu’au final. Vertigineuse plongée dans notre déshumanisation.
La seconde pièce, Fabrica, la plus saisissante à notre goût, s’avère, elle aussi, une création de 2021. La compositrice, Giulia Lorusso, Italienne d’à peine trente ans, formée à Milan et à Paris, à l’Ircam, travaille là une délicate osmose entre vidéo et musique. À l’écran, les abysses d’un corps ou d’un ciel s’inventent et se réinventent, immergeant le spectateur dans leurs métamorphoses. En musique, une diversité de timbres permet une sonorité large et ambitieuse, qui fait entrer les bruits de la ville autant que l’hypnose interstellaire.
Une œuvre cosmique très aboutie, jusqu’à son éclatant final.
La troisième pièce nous délivre du cosmos pour nous pénétrer d’une atmosphère plus légère.
Elle est signée du jeune Espagnol Mikel Urquiza, dans ce concert décidément porté par la jeunesse européenne. Lui aussi est passé par les classes de Stefano Gervasoni, et s’est fait connaître pour des pièces de musique de chambre. Ici, il fait preuve d’une joyeuse vitalité.
Si les sonorités de cuivre semblent au départ nous inviter à une variation à la Prokofiev, se développe un sens du burlesque, de la fantaisie populaire, dans une interprétation de l’Ensemble dont on ne peut qu’admirer la facilité de réinventions. Et à la fin de cette fantaisie, on ne peut que se réjouir du titre Lavorare Stanca, merveilleux hommage au recueil de Pavese, Travailler fatigue. Et l’on suggère alors qu’en écho à la poésie de Pavese, il y avait dans la musique et ses cuivres, une réflexion sur le travail, la vie dure d’ouvriers, et les espoirs d’une autre jeunesse.
Enfin la dernière pièce, Five Songs ( Kafka’s Sirens) de l’Italienne Francesca Verunelli était en effet fidèle à l’auteur du Château dans une dérive abstraite et tenue qui permit à l’Ensemble C Barré d’offrir une nouvelle fois une preuve de son impeccable virtuosité.
Mécaniques de l’intuition, Ensemble C Barré, direction Sébastien Boin, Guillaume Bourgogne, compositions de Francisco Alvarado, Giulia Lorusso, Mikel Urquiza, Francesca Verunelli. Diffusée sur la chaîne Youtube de l’Ircam à partir du 5 avril et disponible pour 6 mois ICI