Dans Si le vent tombe, Nora Martirosyan propose une passionnante réflexion sur l’identité d’un pays peu connu : le Haut-Karabagh. Transfuge s’est entretenu avec la réalisatrice.
Le film s’attache davantage à représenter un espace, des lieux plutôt qu’à suivre un personnage. Les mouvements de caméra contribuent à créer une circularité qui fait écho à l’aspect enclavé du Haut-Karabagh…
C’est exactement cela ! À l’origine du film, j’avais envie de raconter un endroit peu connu et tout ce qui le compose, c’est-à-dire les paysages, les gens, la situation politique… En effet, comme le Haut-Karabagh forme une enclave, le film réalise une sorte de tour sur lui-même. Cette circularité est aussi produite par le découpage du film qui a été pensé pour faire arriver Alain à l’intérieur de ce pays que l’on ne va plus quitter. L’enjeu principal du film est de rendre visible un pays, ses lieux, et le personnage d’Alain Delage en devient un stalker, un guide.
Le film fait alterner deux regards différents, le regard étranger d’Alain, venu faire un audit à l’aéroport de Stepanakert, et le regard d’un petit garçon du pays…
C’est une question éthique que je me suis posée : de quelle position, moi, avec mon passeport français et arménien, puis-je raconter le Haut-Karabagh ? Étant donné que le Haut-Karabagh n’est pas connu, il fallait trouver un point de vue qui donnerait une image complète du pays sans le trahir, et le petit garçon, Edgar, va dans des endroits où Alain ne va pas et inversement. Je voulais vraiment montrer tout ce qui fait le Haut-Karabagh, un endroit agréable et très paisible par ailleurs : la ville, la campagne, les champs, les hôpitaux, etc.
Dans le film, il semblerait que dans ce pays du Haut-Karabagh, qui n’est pas reconnu officiellement, les choses existent d’abord par les mots, par la fiction…
Qu’est-ce que la fiction ? Doit-elle être un miroir du réel ? Mais surtout, pourquoi avons-nous besoin de fiction au cinéma ? Je me suis interrogée sur cette nécessité avant de faire le film. Quand je suis allée dans le Haut-Karabagh, j’ai été stupéfaite par la présence de la fiction dont l’aéroport est l’un des symboles. D’un point de vue géopolitique, je pense que l’aéroport de Stepanakert n’ouvrira jamais, et en même temps, chaque fois que j’y passe, je regarde s’il n’y a pas un avion sur la piste. Cette capacité à croire à quelque chose qui n’existe pas devient un moteur, une force réelle pour tout un pays. Récemment, il y a eu une guerre sanglante de quarante-quatre jours dans le Haut-Karabagh et les Arméniens n’ont désormais quasiment plus accès aux différents espaces que l’on voit dans le film, ils ont dû tout quitter. Je regarde le film différemment aujourd’hui parce que le réel a bougé les lignes. J’ai l’impression que le film n’est pas achevé : lorsque Alain s’interroge sur les frontières du Haut-Karabagh qui ne sont pas clairement délimitées, aujourd’hui il se passe la même chose, les frontières sont encore en train d’être redéfinies. Tout cela me trouble énormément dans mon rapport au film, c’est vertigineux.
Si le vent tombe de Nora Martirosyan, avec Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan… Arizona Distribution, sortie le 26 mai