Magnifique expo à l’Orangerie, qui nous donne à découvrir un Magritte peu connu, sous l’influence de Renoir.
C’est un Magritte méconnu que nous fait découvrir l’exposition Magritte et Renoir : le surréalisme en plein soleil, au musée de l’Orangerie, du 19 mai au 19 juillet. L’influence de Renoir sur Magritte se présente tardivement dans la carrière du peintre belge dont la célèbre manière, humoristique, métaphysique et provocatrice, remonte aux années 1920.
Vers la joie
Cette période « hérétique » de Magritte, qui va de 1943 à 1947, a été occultée parce qu’elle déroge au reste de son œuvre. Elle témoigne d’une remise en question dont l’accrochage admirablement articulé par Cécile Debray, directrice de l’Orangerie, et Didier Ottinger, conservateur général du Centre Pompidou, décrit bien les enjeux. Une affiche de 1937 que Magritte réalisa pour le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Le vrai visage de Rex, nous en indique le contexte. Membre du parti communiste belge depuis 1932, le peintre s’oppose au parti d’extrême droite de Léon Degrelle. En 1940, après l’invasion allemande, il se réfugie en « zone libre », à Carcassonne, où l’accueille Joë Bousquet. Il y restera trois mois, désespéré par la débâcle et surtout par l’absence de son épouse et muse, Georgette Berger. Quand, en septembre, elle l’invite à regagner le nid conjugal à Bruxelles, après l’avoir rassuré sur les dangers de l’occupation allemande, Magritte renaît et c’est ainsi que commence sa période « en plein soleil ». Au lieu d’intégrer dans son œuvre les souffrances infligées par les nazis, comme le fera Giacometti, il les refoule en se tournant, comme Matisse, vers la joie. L’impressionnisme incarne à ces yeux cet engouement pour le « beau côté » de la vie, la sensualité, l’hédonisme. Plutôt que Cézanne et Monet, les pères de l’art du XXe siècle, c’est Renoir qui l’attire après l’annonce de la défaite allemande à Stalingrad, en 1943.
S’ensuit une floraison de remakes de tableaux du « maître des Collettes », nourris de son iconographie, L’Embellie, Le Retour de flamme, Le Traité des sensations. Magritte réinterprète l’art de Renoir sans qu’on sache si c’est pour le célébrer en le citant ou pour le tourner en dérision par une réification loufoque. Ces toiles n’en sont pas moins empreintes d’un sentiment d’exaltation. C’est aussi la « peinture comme chair », pour reprendre l’expression de Renoir, que convoite Magritte. Avec Matisse, il observe « cette médiation du désir par le pinceau », comme l’écrit justement Cécile Debray. La mise en regard de certains tableaux, dont Magritte reprend le format et le dispositif tout en « déréalisant » le sujet, comme le Nu couché et la Femme nue sur un canapé de Renoir que le surréaliste transforme respectivement en sirène et en femme toute bariolée dans un pré multicolore (L’Univers interdit et La Moisson), nous font réfléchir à la postérité ambiguë de l’impressionniste, difficile à cerner, comme si sa popularité désavouait sa modernité.
Côté potache
L’exposition souligne le côté potache de Magritte, qu’on imagine entouré des joyeux drilles de Dada ou parmi les surréalistes belges, Camille Goemans, Marcel Lecomte et Paul Nougé. Féru de canulars, s’identifiant à Fantômas, il imprima trois tracts anonymes, antimilitaristes et anticléricaux (« L’Emmerdeur », « L’Imbécile », « L’Enculeur »), et illustra une biographie du marquis de Sade et Madame Edwarda de Gorges Bataille. Dans la même veine, la version pornographique de Ceci n’est pas une pipe, un dessin aux crayons de couleur (La Pipe-sexe), a échappé à Michel Foucault lorsqu’il disserta sur la distinction entre similitude et ressemblance, inspiré par ce fameux tableau.
Période vache
Après des débuts dans une usine de papiers peints, Magritte réalisa des affiches de cinéma et de publicité ; sa peinture évoque les illustrations des imagiers ou les motifs d’un décorateur. À son inventivité parfois puérile vient s’associer sa malicieuse belgitude aux dépens de l’expressivité et de la touche. Le Roman populaire montre une femme de profil, à l’ample chevelure ornée d’une rose, se détachant sur un paysage marin, comme une vamp de couverture des éditions Harlequin.
Ces dérapages débouchent sur la brève période « vache », la plus saugrenue de Magritte, apothéose ultrachromatique de sa période Renoir, qui la liquide une fois pour toutes. Tableaux iconoclastes, grotesques, kitschissimes, qui tiennent de l’art naïf et des Pieds nickelés, annonçant le Pop art, le mouvement Cobra et le post-modernisme. Moins peintes que barbouillées, ces huiles et ces gouaches suscitèrent l’indignation. Pour Magritte, il s’agissait de régler son compte à l’orthodoxie surréaliste dont le sérieux l’asphyxiait.
Excommunication par Breton
Le verdict de l’autocrate et dogmatique André Breton, auquel Magritte avait soumis son Manifeste pour un surréalisme en plein soleil (1 946), quand il découvrit ce regain d’intérêt pour Renoir, était prévisible. Il l’envoya sur sesroses avec un télégramme cinglant : « Antidialectique et par ailleurs cousu de fil blanc. » Le pape du mouvement, qui détestait autant les impressionnistes que les homosexuels, reprochait à Magritte d’avoir, sous l’emprise d’une formidable régression, imité le réalisme socialiste au stade oral d’un enfant attardé. Excommunié, le peintre se vit reléguer, comme Giorgio de Chirico, parmi les « surréalistes malgré eux ». De sorte que la plupart de ces tableaux, ne trouvant pas leur place dans les musées, appartiennent à des collections privées (dont celle de Jeff Koons).
Stigmatisé, Magritte sera contraint de revenir à sa première manière, personnages à chapeau melon, au visage voilé, colombes flottant dans les nuages ou corps fondus dans le ciel, comme La Magie noire : les marchands ne voulaient pas de son art « solaire ». Il eut beau découvrir avec ravissement que Francis Picabia, lui aussi proche du fauvisme et du dadaïsme, avait peint des fleurs et des femmes pendant la guerre, sa période Renoir fut définitivement jugée de mauvais goût, suspecte et réactionnaire. Le projet marxiste d’un art populaire le condamnait d’emblée au calendrier des postes, à la suite de Renoir. Un art dont la vocation est de plaire, pensez-vous. Une telle joie naïve transgressait non seulement la doxa surréaliste, mais l’histoire de l’art moderne. Elle émerveille l’esprit aujourd’hui par son pied de nez à l’orthodoxie bien-pensante.
Magritte et Renoir : le surréalisme en plein soleil, du 19 mai au 19 juillet au Musée de l’Orangerie. Réservation obligatoire.
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