Les écrivains prennent la parole, à l’occasion d’une soirée, au Centre culturel suisse. Occasion rêvée de découvrir quelques beaux noms d’une littérature bouillonnante.
Neutre, la Suisse ? À d’autres ! Montagneux, lacustre, mais aussi littéraire, intensément littéraire, on le savait depuis Amiel et Ramuz, le pays est pleinement engagé dans cette guerre, pacifique mais acharnée, de l’intelligence et du beau que livrent page à page tous les écrivains. La preuve, si besoin était, avec une riche veillée d’armes, pardon, soirée de lectures, sous l’égide du Centre culturel suisse. Dont la première victoire consiste à imposer une littérature au sens large : un livre jeunesse (mais dont les lecteurs n’ont pas d’âge) côtoie le récit d’une poétesse, la fable voisine avec l’anatomie cruelle des sentiments…
Et de combat, il est littéralement question avec le duo composé par le Français et protéiforme Fabrice Hadjadj et le dessinateur suisse Tom Tirabosco. Le deuxième volet des aventures de Jakob, L’Attrape-malheur, des forêts aux foreuses, Bildungsroman baignant dans l’imaginaire, rehaussé par les noirs ciselés de Tirabosco, gros de conflits existentiels et politiques, rappelle, sur le mode de la littérature jeunesse, la grande leçon de Platon : la philosophie est une affaire d’histoires – de bonnes histoires. Autre Jacob, avec un c, autre combat chez la grande Laurence Verrey, dont la poésie essaime aussi bien au fil de recueils et de revues, qu’en acte, par exemple dans la création des Salves poétiques à Morges. Dans Lutter avec l’ange elle tisse son récit en réinvestissant un épisode aussi crucial qu’énigmatique de la vie du héros biblique. Une lutte dont les enjeux sont aussi spirituels qu’esthétiques.
Chez Rose-Marie Pagnard (Gloria Vynil) on lutte aussi, sous les espèces de la fable contemporaine. Mais contre la ruine, celle psychique du trauma, celle, très concrète, d’un antique Muséum d’histoire naturelle promis à la destruction. Et dans ce roman où une vidéaste croise un peintre, les armes sont celles de l’art, mais aussi cette écriture alerte, poétique, défi à elle seule à l’entropie. Katja Schönherr, ici en tandem avec sa traductrice, Barbara Fontaine, se collette aussi, dans Marta et Arthur, son premier roman, avec la ruine – mais celle, réciproque, savante et minutieuse comme une torture chinoise qu’est le couple lorsque l’ars amatoria devient science de la haine, lorsque le fil des jours est barbelé. Le tout – génial paradoxe que seule permet la littérature – dans une architecture romanesque soigneusement conçue qui, elle, n’a rien de délabré.
Le premier roman de Méliké Oymak, Maman, je veux retourner dans tes entrailles, était une liturgie de la révolte, une voix qui montait des viscères, battait d’une pulsation cardiaque. Une langue pleine, vibrante, comme une mobilisation générale de tous les affects. Cette façon d’ancrer les mots dans les états du corps et de la psyché, on la retrouve aussi dans son second livre, On n’abandonne pas ceux qu’on aime, roman de la démence. Chez le natif de Douala, Max Lobe (La Promesse de sa Phall’Excellence), la langue se branche partout – au corps, au sexe –, elle se court-circuite, se réinvente en permanence, pour une corrosive satire rabelaisienne. Décidément, la littérature n’est pas neutre !
Littératures suisses de printemps, Samedi 29 mai. Retrouvez toute la programmation du festival en suivant ce lien.