A la Comédie Française, Valérie Lesort et Christian Hecq présentent un Bourgeois gentilhomme ébouriffant, spectaculaire, et très musical. Une fable dorée sur l’argent-roi.
Le Bourgeois est une fête, et nous l’avions presque oublié. C’est là le parti pris de cette nouvelle création des virevoltants Valérie Lesort et Christian Hecq : l’inépuisable et spectaculaire folie de Molière apparaît sur scène, plus que jamais. Par la scénographie, par les costumes, par les acteurs- la troupe du Français s’y amuse comme rarement- mais avant toute chose, par la musique. Elle ouvre d’ailleurs le spectacle, par un ensemble perché en loge. Et ensuite, les ballets, les chants, les intermèdes agencent ce Bourgeois, et lui offrent une dimension d’opéra-bouffe. Au cœur de ce grand spectacle, le trublion Christian Hecq en Monsieur Jourdain, anime de toute sa grâce burlesque, en maillot de velours ou robe dorée à la Gauthier, une troupe furieuse. Suivent dans cette cadence fantasque et très rythmée, plusieurs virtuoses de la comédie: Gaël Kamindi et Nicolas Lormeau, en maîtres de danse et de musique qui jouent à la perfection ce mélange d’intérêt et de mépris qui les mènent chez Monsieur Jourdain, Guillaume Galienne en maître de philosophie grimée en figure toute droite sortie d’Harry Potter et Laurent Stocker en valet de Cléonte qui devient peu à peu le maître d’œuvre de la folie générale.
À chaque instant, on reconnaît ce savant mélange de farce et de musique et ce goût des références populaires, cet excès grotesque parfois, qui nourrissent le travail lyrique et théâtral de Valérie Lesort et Christian Hecq depuis une dizaine d’années. Le Bourgeois s’y prête on ne peut mieux, comédie-ballet sur un homme qui voudrait être plus qu’un homme du peuple. Par une scénographie noire et or signée Eric Ruf, reprise dans les costumes, nous avançons dans son univers pharaonique et, par moments, obscène. Car c’est aussi cela que nous racontent les deux metteurs en scène, la manière dont l’argent du Bourgeois rend ceux qui l’entourent prêts à tout, jusqu’à la folie. En cela, les costumes qui emballent les comédiens dans leurs somptueux papiers de bonbons, et il faut ici souligner le talent de Vanessa Sannino qui balance du kitsch au modernisme à la Jean-Paul Gaultier, jusqu’à la couronne finale du Bourgeois, en pissotière à la Duchamp, disent assez la confusion, l’inversion des valeurs qui règnent dans cette maison.
Chacun est prêt à devenir autre, au gré de l’argent qui fluctue : le professeur de philosophie devient instituteur, le maître de musique, trompeur d’ennui, le gendre refusé devient le fils du Grand Turc, le valet, Mufti. Jeux de masques au service d’une longue fête où coule l’argent à flots, mais qui laissera, à la fin, un homme seul, dépouillé de ses rêves. Nous sommes à la fois dans l’atmosphère pharaonique des rêves de Jourdain, mais aussi dans sa solitude tombale. Molière nous raconte ce que l’argent fait des hommes. Des pantins de comédie musicale, des clowns infatigables. Et puis à la fin, le brutal abandon de Monsieur Jourdain, que la mise en scène accentue avec une rare sobriété : l’homme se tient assis sous une porte fermée, soudain lucide sur le vaste mensonge qui lui a été donné en spectacle. À cet instant, la musique cesse. À cet instant, le Bourgeois redevient un homme comme un autre.
Le Bourgeois gentilhomme, mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq, Comédie-Française, jusqu’au 25 juillet.
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