Avec Love is Power, ou quelque chose comme ça, A. Igoni Barrett donne des nouvelles du Nigéria. Elles sont excellentes.
Qu’il se glisse dans la peau d’une grand-mère, la vieille Maa Bille, jambes flageolantes et esprit vif, ou dans celle de Dimié Abrakasa, ado de bidonville, avec mère alcoolique et saletés à tous les étages, qu’il suive la journée bastonnante d’un flic de Lagos, ou celle, drolatique, d’un voyageur d’autocar, condamné à se taire pour cause de (très) mauvaise haleine, qu’il parle d’amour entre un garçon et sa cousine, ou un Noir nigérian et une Blanche sud-africaine, qu’il décrive l’attente des amants ou la fraîcheur d’une bière, A. Igoni Barrett tape dans le mille.
Des neuf nouvelles, qui forment le recueil Love is Power, ou quelque chose comme ça, habilement traduites par Sika Fakambi, seule celle qui fait le portrait d’un jeune escroc/drageur de l’Internet (« chasseur de rêves ») a un petit air de déjà-vu. Les histoires de Yahoo boys sont un classique au Nigéria. Mais voyez comment se déroule, traveling débonnaire et trivial la journée de Maa Bille : du grand art. En trois souvenirs et deux répliques façon sitcom, Barrett épingle les mille et une tragédies de la vieillesse – happy end inopiné en prime. De même, les tribulations du jeune Dimié, gamin tour à tour charitable et monstrueux, sont un portait des bas-fonds en même temps qu’un récit-uppercut sur l’affranchissement d’un fils vis-à-vis de sa mère.
Sans crainte d’écorner des tabous, le jeune nouvelliste (A. Igoni Barrett est né en 1979 à Port-Harcourt) décrit, avec une précision cruelle comment la police nigériane, qui tabasse comme on respire, rackette les automobilistes (sauf les riches) ou viole les prostituées, est composée de bons gros machos ordinaires, qui adorent leurs enfants et s’appuient, pour se supporter, sur l’amour de leurs gentilles épouses.
Pays d’écrivains et de lecteurs, le Nigéria est riche d’une longue tradition littéraire. Influence British oblige, le roman n’est pas le seul sport pratiqué : la nouvelle est une forme prisée – où les plus grands excellent. La star du roman nigérian, Chimamanda Ngozi Adichie, à qui l’on doit, entres, le très beau Americanah (Gallimard), s’y est essayée avec maestria. Son recueil de nouvelles, Autour de ton cou (Gallimard), cinglant et raffiné, est un modèle du genre. Sans oublier les talentueuses Sefi Atta (Nouvelles du pays, Actes Sud) ou Chinelo Okparanta (Le Bonheur, comme l’eau, Zoé), moins connues, mais dont le sens de l’observation et l’humour acide font merveille.
A. Igoni Barrett n’en est pas à son coup d’essai. Nouvelliste apprécié en Afrique anglophone, il a fait partie, en 2014, de la fameuse liste des « trente-neuf écrivains africains de moins de quarante ans », chaque année salués à Lagos. Love is Power, ou quelque chose comme ça est son premier livre traduit en français. Infatigable geyser à talents, le nigéria demeure, avec l’Afrique du Sud, l’un des viviers parmi les plus prometteurs de la littérature africaine. Love is Power… le confirme avec éclat.
Love is Power, ou quelque chose comme ça, Igoni Barrett, Zulma