Aires marque le retour de Marcus Malte, maître en roman noir, qui ici nous emporte sur les autoroutes dans un monde à portée de futur.
Après le polar et le roman d’aventure, Marcus Malte se met à la science-fiction, le temps d’un incipit. L’introduction de son nouveau roman est un discours, tenu par une entité du futur – homme, femme, intelligence artificielle ? – qui présente à ses pairs le résultat de ses recherches sur leurs « aïeux », ceux d’avant que l’humanité ne finisse sous « glasserre ». Huit pages intelligentes suffisent au lecteur pour deviner quel genre de drame a coupé les humains de leur environnement et quelle vie pixellisée, artificielle, mène les hommes de demain. Des limbes, l’archéologue du futur a tiré le souvenir d’une poignée d’hommes et de femmes, enfermés dans leurs véhicules, roulant sur l’autoroute, par un beau jour d’août, au début du XXIe siècle. « Plusieurs histoires (…) Mais qui n’en font qu’une. Parce que c’est le principe même de la vie, sa trame : des destins qui s’enchevêtrent. Et c’est quelque chose que je trouve fascinant. Toutes ces trajectoires parallèles, qui finissent par se croiser », déclare un personnage que l’on suppose alter-ego de l’auteur. On connaît le don de conteur fabuleux que possède Marcus Malte. Le voici dans toute sa splendeur. Les vies se dessinent par le biais de dialogues théâtraux, didascalies incluses, de poèmes, de conversations, de disputes, de monologues intérieurs, de descriptions minutieuses, de digressions captivantes, tout cela rythmé par de stupides slogans publicitaires ou d’atroces bribes de nouvelles du monde, sortis des postes de radio. De kilomètre en kilomètre, de page en page, Roland, Maryse, Catherine, Pierre-Peter, Claire, Zoé et les autres nous disent qui ils sont et quel monde ils habitent. Les aires d’autoroute où ils se reposent, ensembles absurdes de magasins trop éclairés, de toilettes mal isolées et de mauvais restaurants, peuplées de vendeuses sous-payées, d’enfants solitaires, perdus ou enchantés, de couples qui s’aiment, se retrouvent, se séparent, de routiers fatigués, de SDF, de dames avec chauffeur, de chats écrasés, de vices cachés, sont à la fois l’homophone et le reflet de notre « ère », celle « du début de la fin ». On devine doucement que tous ces êtres courent vers l’anéantissement. Peu survivront à la collision qui s’annonce. A l’heure où les dystopies se multiplient en librairie, ce texte-là tient du génie, traduisant précisément le sentiment de catastrophe annoncée qui submerge notre époque, sans tsunami ni crash boursier, sans guerre civile ni grand incendie. Bête comme une voiture lancée à deux cent kilomètres heures, notre monde propulse droit dans le mur des milliards de vies minuscules, banales et merveilleuses. Cette tragédie, « ce n’est pas du Mozart, ce n’est pas du Wagner, c’est typiquement du Joe Dassin », écrit Malte, à la fois si drôle et si sombre. Ainsi va la vie, ritournelle éphémère, gorgée de nostalgie avant même de s’éteindre.
Marcus Malte, Aires, Zulma, 487 p., 24 €