Marcus Malte, l’une des meilleurs plumes du polar français, signe d’inquiétantes fables sociales
La misère du monde tient dans une pièce. Un huis clos de rien du tout dans une cuisine américaine. Fannie a enlevé Freddie parce qu’elle était dépossédée de tout. Elle dit qu’un grand feu la consume. On ne sait pas vraiment si c’est le désir, la tristesse ou la haine. Fannie et Freddie, c’est la carpe et le lapin. Le jeune loup de la finance et la fille d’ouvriers. Le jeune loup de la finance et la fille d’ouvriers. Leur point commun, ce sont les dettes. Elle trinque pour le malheur de ses parents, arnaqués par une banque à la veille de la crise financière. Scotché à une chaine, sous l’œil du Smith & Wesson de Fannie, Freddie paie pour avoir fait allégeance à la machine à détruire l’être humain. Marcus Malte chronique le règlement de comptes. On dit qu’il n’y a pas de petites économies. Sous la plume de Malte, cette maxime radine perd en mesquinerie et gagne en noblesse. L’auteur compte les indices, ménage les rebondissements, épargne les effets de style, fait don d’une poésie pudique. L’ascèse sied au tragique. Ce sont les petits riens, les petites vies, les poignées d’heures perdues qui parlent le mieux des grands malheurs. Après « Fannie et Freddie », une deuxième nouvelle, « Ceux qui construisent les bateaux ne les prennent pas ». Autre drame personnel, autre drame social. Pas de méchant, pas de sirènes hurlantes, pas d’arrestation. Un taiseux marche sur une plage, ressasse un malheur oublié, sous l’œil blasé de la côte de La Seyne-sur-Mer, jadis bassin ouvrier, désormais moribonde. L’homme s’interroge : « Jusqu’à quelle échelle nos vies peuvent—elles se réduire ? ». Minuscule, assurément. Du collectif à l’individu, du scandale public au secret intime, Marcus Malte peint le rétrécissement des existences, jusqu’à leur anéantissement. Le noir à la loupe.
Fannie et Freddie, Marcus Malte, éditions Zulma