Lors de la sortie de Grave en 2017, Transfuge avait rencontré la réalisatrice Julia Ducournau, Palme d’or 2021 pour Titane. Portrait.
Dimanche 30 janvier. Nuit glacée sur les Vosges. Les thermomètres affichent -16. On gèle. Avec le jury de la critique du festival international du film fantastique de Gérardmer (dont je fais partie), nous quittons l’espace Lac, un énorme chalet façon hôtel Overloook de Shining, aménagé en salle de cinéma horrifique où nous avons remis à l’unanimité le prix à Grave de Julia Ducournau. Le film a également reçu le Grand Prix du festival. La délibération a duré cinq minutes. Pas une de plus. Alors que nous marchons en rang d’oignons, en frappant nos moufles sur nos doudounes, un spectateur nous interpelle dans l’obscurité : « Messieurs, en remettant à l’unanimité le prix de la critique à ce film, vous avilissez l’humanité ! Vous cautionnez la façon dont la réalisatrice cautionne la décadence morale. » On rira de ce glacial retour à l’ordre moral, façon scandale de La Grande Bouffe mais à la mode cannibale puisque le film narre l’aventure initiatique d’une étudiante surdouée de seize ans qui, tout en étant bizutée à l’école vétérinaire, se découvre auprès de sa grande sœur anthropophage. On s’en amusera mais on ne s’étonnera plus de rien à propos de ce film cru très remarqué à Cannes en mai dernier, adulé à Sundance et ayant provoqué des malaises lors de sa projection à Toronto. On ne s’étonnera pas non plus que sa réalisatrice en herbe soit accusée d’hérésie. A la manière des sorcières du temps jadis, elle est venue ramasser ses prix à Gérardmer dans une longue combinaison noire que l’on jurerait sortie de la garde-robe de Morticia Adams ou d’une héroïne de Tim Burton. Comme le film, le physique de Ducournau est hybride : kabyle et bretonne à la fois, chevelure longue et blonde sur un visage mat au rouge à lèvres noir. Une nature transgenre que Ducournau affiche avec élégance : dotée d’une très haute silhouette, elle la surélève encore sur des talons compensés. Elle regarde littéralement son auditoire de haut. Cette fille de trente-trois ans ne passe pas inaperçue. Ce jour là à Gérardmer, on ne voit qu’elle. Difficile de faire autrement. Ducournau en a conscience : « Je suis très rock ! » nous expliquera-elle au cours de l’entretien. Les doigts sont ornementés d’imposantes bagues et de chevalières, entre PJ Harvey et Marilyn Manson. Rock star jusqu’au bout des ongles ! Quoi qu’il en soit, Ducournau aurait tout de la concubine du démon que certains esprits chagrins enverraient bien au bûcher pour avoir osé parler et montrer la jouissance féminine, l’homosexualité revendiquée de son personnage masculin, et les liens incestueux entre deux sœurs.
Charretier
Si Grave enthousiasme ou scandalise, c’est parce que Ducournau réussit le pari difficile, inespéré en France où le cinéma de genre est moribond, d’un cross-over entre la comédie initiatique et gore, le film d’horreur et le teen- movie dramatique et sexuel. Lors de notre entretien à Gérardmer, Ducournau abonde dans ce sens : « L’équilibre des trois genres ne va pas l’un sans l’autre. Il y a une infinité de combinaisons possibles. Le cross-over est un langage à explorer. » Ducournau ressemble à son film : mixte de plusieurs genres. Pour s’en convaincre, il suffit de l’écouter parler. Elle a une voix rude et un léger zozotement de petite fille, un accent banlieusard, un côté wesh-wesh dans les discussions un peu érudites. Ce que me confirme son complice et producteur Jean des Forêts que sa compagne a présenté à Julia : « Elle peut parler comme un charretier mais c’est la personne la plus cultivée et dotée du vocabulaire le plus riche que je connaisse ». Ça donne des perles : « Putain, Bataille, je l’ai pas relu depuis la prépa. Alors que Sade, oui. Mon héroïne s’appelle comme dans Justine ou les malheurs de la vertu, histoire d’une innocente qui finit par prendre du plaisir en devenant un objet sexuel. Mon film parle de la pulsion et de ce qu’on en fait. Justine hérite d’une pulsion comme par damnation familiale. Mais le film, c’est autant Sade que Henry, Portrait d’un serial killer. Un putain de film. Cette scène où le mec tripote à table sa sœur et qu’Henry lui demande d’arrêter. C’est un truc de ouf ! Car le mec, il bute chaque jour des tas de gens et là, il a la morale avec lui. On est au-delà de la morale comme dans mon film. Ca n’a l’air de rien mais ça pose des questions hallucinantes comme de savoir ce qui est pire entre l’inceste et le meurtre. »
Julia est une forte tête très sensible, très bavarde, et elle ne transige sur rien ni avec personne, pour obtenir ce qu’elle veut. Jean des Forêts : « Elle avait l’idée de tout. Faire un film n’est pas un caprice. Elle se donne les moyens de ses ambitions. Même aller à Cannes faisait depuis le début partie de son plan. »
Maniaque
Comme son héroïne Justine dans Grave, Julia Ducournau est fille de médecin du côté d’une bourgeoisie ouverte. Selon son amie Katia Pecnik : « Julia est très proche de ses parents et a toujours admiré le rapport empathique de sa mère envers ses patients.» Petite, à la maison, auprès de sa grande sœur, Julia écoute ses parents parler à table de la maladie, de la mort. « Avec le recul, je me rends compte que ce qui faisait peur, c’était la façon dont ils ne craignaient absolument pas la mort et la maladie, dont elles étaient comprises comme une normalité dans notre foyer. » Enfant, elle consulte les livres de son père dermatologue du VIIIe arrondissement de Paris, illustrés de photos d’excroissances, de lèvres recousues avec des sangsues, de plaies béantes. Grave est un film dont le refoulé monstrueux est le héros : le corps se rebelle contre l’esprit pour ne pas se laisser refouler comme chez Cronenberg qu’elle adule. Mais sa connaissance précoce des malformations explique la réussite exemplaire des maquillages de blessures et de plaies dans Grave. Là encore, elle est intarissable : « Je privilégie les prothèses aux effets spéciaux numériques. Même si parfois ça coûte plus cher. Je n’aime pas le numérique parce qu’on en voit partout à la télé. On est donc complètement désensibilisé à ça. Alors qu’une belle texture de sang créera toujours d’avantage d’émotion. Tout est dans la texture. » Cette maniaque du détail m’explique comment elle a réalisé une jambe dévorée dans son film, soulignant qu’en assombrissant les contours de la prothèse « on accentuait le côté creusé dans la chair ». Ca ne s’invente pas !
Comme cet épisode qui en aurait traumatisé plus d’un : à six ans, Julia zappe et tombe sur Massacre à la tronçonneuse. La chose ne la heurte pas plus que ça mais la fascine. Il faut dire que la jeune fille est déjà une habituée du cinéma. Ses parents cinéphiles lui font déjà voir les grands classiques et surtout Hitchcock. Voir les classiques du cinéma est à la maison aussi important que de lire Balzac et Tolstoi. Néanmoins, certains plaisirs naissent aussi dans la clandestinité. Vers onze ans, avec son meilleur ami d’alors, elle découvre en douce Shining, film qui la fait toujours angoisser, notamment la scène dans le couloir avec les jumelles. « J’ai beau aujourd’hui être un peu moins impressionnée par le film parce que je sais l’analyser et comprendre comment il a été réalisé, cette scène avec les jumelles demeure un mystère pour moi. » Quand elle ne regarde pas des films d’horreur, n’épluche pas comme encore aujourd’hui chaque exemplaire de Mad Movies, Ducournau s’essaye longtemps en petite fille exemplaire au piano et à la danse classique : « Ma prof était de la vieille école et me tapait sur les talons quand je loupais mes pas. » Le piano et la danse nourrissent son cinéma : « Mon rapport à la mise en scène est plus musical que littéraire. Je dirige mes comédiens comme des danseurs. Je leur indique dans quelle position se tenir, comment voûter leur corps, regarder leurs interlocuteurs. Quand aux voix, je cherche l’harmonie musicale. Je passe mon temps à faire attention aux intonations de voix. » Ce que me confirme sa comédienne principale, Garance Marillier qui était déjà l’héroïne de Julia dans son court métrage Junior qui traitait comme Grave de la métamorphose d’une jeune fille : « Julia est attentive à la musicalité. Elle demande de crier plus fort, de baisser le ton. Elle cherche les intonations justes. Parfois, elle me disait : « maintiens ta note jusqu’à ce que ça fasse une symphonie. » Julia est vraiment très exigeante, vis-à-vis de son art, des autres et d’abord d’elle- même. Elle a beaucoup de mal à laisser passer si quelque chose ne va pas dans son sens. Si nous nous entendons si bien, c’est parce que nous avons deux caractères très forts. On peut se dire des horreurs sans diplomatie. Sur le tournage, des gens venaient me voir et me disaient que Julia me parlait mal parfois. Et alors ? Elle était cash comme je peux l’être avec elle. Ça lui permettait d’aller plus vite à l’essentiel. »
Poésie
Cette exigence, Ducournau la cultive depuis son adolescence. Quand elle ne fait pas de la musique, de la danse, elle écrit de la poésie. « Mais je me suis rendue compte que ce n’était pas ça… La poésie, ça ne trompe personne», m’avoue-t-elle. Déjà dans ses poèmes de jeunesse, Ducournau compose ses strophes comme des plans. Elle met déjà en scène des images. C’est d’une certaine façon dans la poésie qu’elle apprend à écrire des scénarios. « J’écris de façon très visuelle pour chaque département. Mon découpage technique est ultra précis, si bien que chacun, et moi la première, on sait déjà ce qu’on a à faire, quelle est l’essence du plan à tourner quand on arrive sur le plateau. Je crois à l’adage de Miles Davis selon qui il faut connaître la partition par cœur pour pouvoir improviser. Pendant le tournage, je cauchemardais la nuit que j’arrivais sur le plateau sans savoir quoi tourner. Ça me terrorisait. »
C’est l’une des principales qualités de Grave : Rien n’est laissé au hasard. Ducournau a des visions viscérales tout du long : une fête dantesque où se trémoussent 270 figurants, chacun ayant reçu un rôle et des indications précises ; une scène de bizutage nocturne aux allures de rêverie hallucinée ; une scène d’accident de voitures en plan fixe, une autre de dévoration de membre, une autre de sexe, fabuleuse. « Il y a très peu de scènes de sexe que je considère comme réussies. J’aime par contre énormément une scène de la série True Detective, celle où Matthew McConaughey fait cocu Woody Harrelson avec Michelle Monaghan. Ils baisent. C’est une scène très courte, très sale et ils se haïssent de le faire. Il la prend, la retourne sauvagement, ils se sentent avilis. Ça nous renseigne mais surtout ça ajoute sur leur déchéance à tous les deux. Mon film parle beaucoup de la jouissance. Si on est trop en roue libre, on finit toujours par heurter quelqu’un. Donc comment faire avec son animalité et revenir dans l’humanité. »
Quand son producteur l’a rencontrée la première fois, il s’est d’abord demandé si elle serait à la hauteur de la tâche : « Je pense qu’il y a des gens qui ne prenaient pas cette jolie fille au sérieux au début. » Si maniaque que pour réaliser la grande séquence d’épilation (en gros plans), Ducournau a dû effectuer un casting de toisons pubiennes, à la recherche de la pilosité adéquate à sa vision du juste phanère : drue, sombre, fournie. Ducournau aime enquêter pour trouver. Quand elle était adolescente, dans un lycée du IXe arrondissement de Paris, Ducournau rêvait de devenir profileuse pour détecter les serials killers. Sa mère l’en dissuade. « Pragmatique, elle m’a dit qu’il y avait très peu de serial killers en France et donc très peu de places vacantes. Elle a sans doute raison mais elle n’a pas abandonné l’idée. Parmi ses lectures favorites, qu’elle partage avec son ami Jean-Christophe Bouzy, le monteur du film : James Ellroy et surtout les anthologies de serial killers de Stéphane Bourgoin qu’elle a toutes lues. D’ailleurs elle me confie que son prochain film traitera d’un tueur en série même si « cela ne dit rien de ce que sera l’intrigue. »
Après des études secondaires où on dit d’elle qu’elle est « précoce, surdouée, brillante », elle fait une double licence de lettres modernes anglais après avoir effectué son hypokhâgne et sa khâgne à Louis-Le-Grand. Elle tente l’ENS qu’elle rate, puis voit en la FEMIS une évidence. Pour son dossier d’entrée, elle doit travailler sur la notion du caché et traite du jeu de cache-cache qui provoque en elle des angoisses : « Quand t’as seize ans, y a toujours un con à la campagne pour proposer une partie de cache-cache. Moi j’avais autant peur d’aller me cacher dans la nuit que de rester à compter dans la maison. Je craignais qu’un taré appelle à ce moment là pour me dire qu’il allait venir me tuer. En fin de compte, j’avais peur de rester seule. » Ducournau rentre à la FEMIS « genrée » (l’expression est d’elle) : « Je leur ai dit que Pasolini était un cinéaste de genre. Ils savaient très bien quel genre de cinéma m’attirait. J’aime d’abord le cinéma d’horreur. Comme d’autres de ma promotion. La FEMIS n’a rien contre le cinéma de genre. La difficulté est plutôt d’ordre économique. On ne sait comment montrer des films que l’on croit destinés à une niche. Il faut casser l’idée selon laquelle il est impossible de faire un film d’auteur et un film de genre. C’est ridicule, ça ne veut rien dire. »
Au cours de ses études, elle pige en sexologie pour Glamour. Elle fait des papiers pour Transfuge dont un sur les influences de Gaspar Noé qu’elle fréquente beaucoup à l’époque, ainsi que Bertrand Bonello. C’est à cette époque, dans la deuxième moitié des années 2000 que l’on peut la voir régulièrement dans les soirées parisiennes les plus branchées. Katia Pecnik : « On a fait les quatre cents coups ensemble. C’est moi qui l’entraînais. On allait beaucoup au Baron. » Comme nous l’explique un de ses amis de l’époque : « Julia était une grosse fêtarde.» Un autre de ses amis me dit qu’ « elle était très ambitieuse. Mais ce n’est pas un jugement négatif au contraire. Pour être cinéaste il faut l’être. »
Bouffe
A la FEMIS, Ducournau, que l’on dit sarcastique, pince-sans-rire, aime passer des heures dans les couloirs à raconter des conneries avec ses copines. Parmi elles, Marie Amachoukeli, la co-réalisatrice de Party Girl qui sera consultante sur Grave. Marie : « Julia est une fille en double mouvement. Elle a une vraie assurance physique, intellectuelle mais elle est toujours en train de se remettre en question. Son film lui ressemble vraiment, c’est elle : très sincère, très intelligent mais aussi très premier degré. » On lui prête aussi d’avoir l’honnêteté de ses névroses, d’être capable de rire de son hypocondrie ou de son rapport compliqué à la nourriture. Elle nommera d’ailleurs sa première commande télé pour Canal+, co-réalisée avec Virgile Bramly, Mange : histoire d’une adolescente, ancienne boulimique décidant de se venger de la personne qui l’avait humiliée.
Grave fait suite à Junior, un court métrage remarqué avec Garance Marillier. L’histoire encore d’une petite adolescente boutonneuse, sujette à une gastroentérite et à une mue fort étrange… Le tournage de Grave n’a pas été de tout repos. Elle est fière d’une séquence que nous appellerons « la scène des draps ». Justine (Garance Marillier) se tord dans son lit, en proie à une faim carnivore : « Ça a été très physique pour Garance à qui j’avais montré la scène de transe dans Trainspotting pour qu’elle comprenne comment jouer le manque. Je parle beaucoup pendant les scènes, c’est une tannée pour tout le monde. Au cours de cette scène, je n’arrêtais pas : « regarde là, fais attention à ça, fais ceci, fais cela ».
Je lui parlais de manière hypnotique pour la faire rentrer en transe. J’étais sur mon combo et au-dessus de moi, quatre personnes tenaient le drap et on devait lui donner des coups avec la main pour la surprendre. Garance ne savait pas quand les coups allaient pleuvoir. Avec mes mains, je dirigeais l’équipe comme des marionnettes : tire le drap plus à droite, non, plus à gauche ! Putain, ce que c’était physique ! Entre les prises, fallait que je réconforte Garance. En fin de compte, je trouve ça fou qu’on ait tous réussi à filmer Garance au moment où elle se met à pleurer. » Garance s’en amuse aujourd’hui : « Julia me piquait pendant la prise. Quand elle veut quelque chose, elle sait comment l’obtenir. »
Corps féminin trivial
Dans ses thèmes Grave détonne par sa franchise, notamment à propos de la question de la jouissance féminine : « La représentation de la sexualité est trop souvent psychologique. La sexualité ce n’est que le corps. J’ai voulu montrer un corps féminin trivial, qui pète, rote, sue. A qui tous peuvent s’identifier, un corps qui est tout le monde et qui a le désir de tout le monde. » Selon son amie Katia, Julia est très féministe : « Elle prend ça très à cœur et aimerait que les hommes soient un peu préoccupés par cette question. Elle peut au cours d’un dîner se battre pour expliquer pourquoi les femmes sont mal représentées, humiliées, mal respectées. D’ailleurs, alors que tout le monde finira par arrondir les angles, pas elle ! Julia ne lâchera rien. Elle s’en fout d’être appréciée. En parler n’a rien de superflu. D’ailleurs Julia sélectionne les gens. Elle n’a pas le temps de s’encombrer de personnes qu’elle juge toxiques où de relations superficielles. Son travail la rend solitaire. Elle a un petit groupe d’amis autour d’elle. Depuis qu’elle a débuté la réalisation mais aussi le script doctoring, elle donne tout à son travail.» A tel point que d’anciens amis regrettent aujourd’hui de ne plus du tout la voir.
Grave est aussi l’histoire d’une sororité compliquée. Les deux sœurs sont autant complices que rivales. Elles semblent fondre dans un même corps, souffrir de ce que les psychanalystes appellent un problème d’indifférenciation. Je tente donc de joindre sa grande sœur, Emmanuelle Ducournau, journaliste mode à Marie Claire. Je veux lui demander ce qu’elle a pensé du film, s’il y a une part autobiographique dans ce film. Mais elle me répond sèchement qu’elle ne veut absolument pas nous en parler : « cela ne va pas être possible » répète-elle à plusieurs reprises. Et raccroche. Du côté de Julia, même refus catégorique de répondre à cette question. Je ne saurais donc pas si oui ou non il manque à la grande sœur un doigt ! (dans le film la petite sœur dévore un des deux majeurs de la grande sœur.)
Cependant, Julia Ducournau revient longuement sur A ma sœur, film de Catherine Breillat autour de la représentation du corps féminin : « Ce film de Breillat fait partie de mon top dix. Je l’ai encore regardé pendant que j’écrivais. La première fois que je l’ai vue, ça m’avait assise. Chez moi, c’est plus comique que chez elle : j’ai voulu montrer que deux sœurs peuvent tout faire ensemble. Ça n’a rien de sexuel alors que chez Breillat, c’est ambigu, notamment quand elle se fait enculer à côté de sa sœur. Si j’ai pensé au film, c’était pour viser la même tonalité amorale et poétique. Ce monde très incarné, pas du tout mental, m’a inspiré. »
Quelques heures plus tard après la remise des prix à Gérardmer, je la retrouve ivre joyeuse au bar du grand Hôtel. Elle s’accroche à son verre de Spritz comme à ma manche, explose de rire en écoutant un pote blaguer sur l’interdiction aux moins de 18 ans dont a fait les frais Love de Gaspar Noé. « Ils allaient pas interdire un porno aux moins de 16 ans ! » Je lui demande comment elle voit la suite. Elle redevient sérieuse : « J’ai écrit jadis un court sur une femme bisexuelle. Je cherchais une comédienne trans. Un jour je le ferai. Il y a quelque chose dans ce thème de la transsexualité qui me parle profondément. Il y a là un truc, un combat que j’ai envie de porter. C’est inexplicable. Mais de toute façon, je n’ai pas assez d’une vie pour explorer mon langage et celui du cross-over. Alors il faut continuer. »