Le nom d’Emanuel Proweller devrait être sur toutes les lèvres des amateurs de peinture. Il est chez Vallois, qui consacre une splendide expo à cet artiste trop confidentiel.
C’est une vie de peintre du XXe siècle, tragique et riche en péripéties. Emanuel Proweller voit le jour en 1918 en Pologne, échappe à la grande nuit de la Shoah grâce à de faux papiers (et peut-être l’influence bénéfique d’une image pieuse : une reproduction de Cézanne qui ne quitte pas le jeune peintre juif), puis quitte l’air vicié, antisémite, de la Pologne en 1948. C’est un roman d’artiste très XIXe siècle : Paris, la dèche, l’effervescence des amitiés (Gabrielle Buffet-Picabia, en particulier, bonne fée et plume éclairée). Et la poisse des incompris à partir de la fin des années cinquante, son abstraction convertie à la figuration (on songe, une décennie plus tard, à la trajectoire parallèle de Roger-Edgar Gillet) se révélant inclassable. Même s’il ne s’agit pas d’une palinodie, observe Catherine Francblin dans le catalogue de l’expo, Proweller ménageant toujours la chèvre de l’abstraction et le chou de la figuration. C’est une prophétie : la peinture de Proweller a d’étonnants échos anticipés de la Figuration narrative : cadrages audacieux et raffinés (La Première Cigarette, de 1969, comme un rush de Godard), palette intrépide (le magnifique Madame Parelon, Créteil, en 1967, aux tons francs, décomplexés), fragments montés en épingle (le postérieur généreux du très explicitement titré Fesses sur le banc et volubilis, de 1970).
Vie, roman, prophétie – mais toute cette littérature est au service de la peinture, « combat primordial » d’Emanuel Proweller, résumait sa fille, Elisabeth Brami-Proweller, lors d’une exposition de 2015 à la galerie Convergences. Un combat qui passe par l’assomption du sujet, et que Proweller livre à fleur de quotidien. La Première Cigarette après l’amour ou bien une paire de pieds et l’élargissement en quilles des jambes jusqu’à l’ourlet festonné du jupon (Crépuscule dans la vallée, 1978) : les sujets sont là, proches du peintre, proches de nous, immédiatement perceptibles. Et c’est bien une certaine immédiateté, qui est le propre des toiles de Proweller. On est là devant quelque chose d’immense et d’indéfinissable. Comme une portion d’infini, et cette épiphanie incommensurable, on l’a devant nous sans médiation. Comme cette madame Parelon, dans le tableau qui porte son nom : elle est devant ce qui, malgré le champ, l’usine et le silo, est moins un paysage qu’un prodigieux mouvement d’expansion (les bandes vertes, herbues, qui dessinent un rayonnement ou une fuite), avec, au-dessus de cette composition dynamique, un énorme bloc céruléen. Appelons ça comme on voudra – cosmos, puissances, Dieu. Et sur ce Nu renversé de 1971, la toison rousse qui, dans l’anfractuosité des cuisses, aimante le regard, est redéployée par la teinte à peine plus claire du couvre-lit – comme si la chair et l’infini de ses mystères s’étendait devant nous. Miracle d’une peinture qui sait ouvrir à de tels vertiges.
Exposition Emanuel Proweller, Le Vif du sujet, galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, du 4 septembre au 25 octobre
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Catalogue : Emmanuel Proweller. Le Vif du sujet, Editions courtes et longues, 96 p., 29 €