Fer de lance du mouvement Pattern & Decoration, Robert Kushner montre ses prodigieuses compositions, florales et picturales, chez Nathalie Obadia.
Les métaphores florales ont fait florès en esthétique – éclosion, croissance… – pour finir par prendre le cachet kitsch d’un bouquet sur un guéridon napperonné. Reste que Robert Kushner (né en 1949) les suscite légitimement. L’artiste fut une des chevilles ouvrières d’un mouvement né à Manhattan dans les seventies, mais fruit d’une intensive pollinisation culturelle, et il a lui-même absorbé les leçons de l’artisanat indien, la peinture du Japonais Isson Tanaka, les traditions ornementales islamiques… Rien d’étonnant donc si, aux côtés de Valerie Jaudon et de Robert Zakanitch, on le trouve dans les rangs de ce Pattern & Decoration cosmopolite et provocateur, puisqu’il s’agissait, au nez et à la barbe du minimalisme et de l’art conceptuel, de revendiquer la place du décoratif dans l’art. Rien d’étonnant non plus si, à l’engouement initial, a succédé une traversée du désert de « P&D », jusqu’à une récente réhabilitation. Il faut dire que, pour les sourcilleux gardiens du temple de l’Art, ce n’est pas la rose, mais le kitsch que sentent les motifs de papiers peints, les couleurs visant délibérément à caresser l’œil (« Ma seule ambition est d’être un bon séducteur visuel », dixit Kushner) …
… ou encore les fleurs, qui font de cette expo chez Nathalie Obadia un rêve psychédélique de botaniste, un Giverny des arts déco et un hommage luxuriant aux papiers découpés de Matisse (« sans lui je ne serais rien »). Les champs d’investigation esthétique de Kushner ont toujours été semés de fleurs, en particulier à partir des années quatre-vingt : un artiste qui a confessé son goût pour les œuvres « pleines », par opposition au minimalisme, ne pouvait qu’être sensible à l’exubérance de la nature. Ainsi cet Emblem of Winter : couleurs froides, organisation géométrique (à la Barnett Newman ?) des lés de peinture du fond, mais l’enchevêtrement des tiges, les tortillons des contours des végétaux, donnent à l’ensemble une vitalité paradoxale, glacée.
New Hybrid, au titre éloquent, est la traduction picturale de la greffe horticole, tant sur le plan des matériaux (la feuille d’or vient ainsi enrichir l’huile et l’acrylique) que des perceptions du spectateur. Celui-ci doit en effet assembler un papier peint, des formes florales, des linéaments cartographiques, mais aussi, s’approchât-il, des lattes obliques, comme les chevrons d’un parquet, des bâtonnets rouge sombre, comme une tenture de velours. On ne sait plus trop ce qu’on voit, et sans doute est-ce parce que, à l’image de tous les organismes, végétaux ou non, une œuvre de Kushner est en perpétuelle mutation, dans l’espace clos qui est le sien. Prenez Two Old Friends : le procédé est simple, mais poussé ici à un rare degré de raffinement et de complexité. En faisant se succéder, comme sur un spectre horizontal, les couleurs d’une même plante, la toile suggère un mouvement de gauche à droite, un dynamisme évolutif, comme les différentes étapes d’une métamorphose. Un art littéralement vivant – voilà qui aurait cloué le bec aux contempteurs de Pattern & Decoration…
Exposition Robert Kushner, Jardin sauvage, galerie Nathalie Obadia, du 4 septembre au 23 octobre
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