Après avoir achevé son cultissime Mon Combat, Karl-Ove Knausgaard revient avec un recueil de textes sur la vie destinée à sa fille, c’est En Automne.
Des méduses aux bottes de caoutchouc, de la foudre aux cadres des tableaux, le monde fait partout littérature pour Knausgaard. Après le succès mondial de Mon Combat, difficile d’ignorer que l’écrivain norvégien accomplit depuis dix ans cette petite révolution de faire entrer le quotidien, jusqu’au plus terne, en littérature. Il n’est certes pas le premier, mais à la différence de ses prédécesseurs, Gombrowicz, Fosse, pour ne citer qu’eux, il ne cherche pas à rendre le néant de cette vie quotidienne. Car si elle emprunte une démarche documentaire, cette dimension brute n’est en réalité qu’une apparence superficielle : toutes les expériences racontées par Knausgaard, aussi infimes soient-elles, visent à faire sens. Dans ce livre, cette démarche est renforcée par la première destinataire de cette série de courts textes, la dernière fille de l’auteur. Se succèdent ainsi trois parties qui s’intitulent chacune, « Lettre à ma fille qui n’a pas encore vu le jour ». Knausgaard est à la fois écrivain, fils et père depuis la première page de Mon Combat.
Et ce dernier En automne rapproche plus que jamais la démarche de l’auteur norvégien à celle de Montaigne. Écrivain de l’expérience, il y creuse pour s’offrir en miroir au monde, jusqu’à parfois adopter cette posture de moraliste, très XVIIe, qui lui permet de parler de tout et de rien, avec la même aisance.
Ainsi l’un des plus beaux textes de cet En automne s’avère le récit d’une visite de routine chez l’échographe avec sa femme enceinte qui lui permet d’écrire ces simples phrases : « Les parents donnent la vie à l’enfant, l’enfant donne de l’espoir aux parents. C’est le deal. Cela te paraît lourd à porter ? ça ne l’est pas. L’espoir est inconditionnel. »
Par ces sentences aussi limpides qu’une remarque jetée dans un journal, mais longuement pensées, Knausgaard s’offre des fulgurances philosophiques qu’il puise dans cette constante observation de ce qui l’entoure. Ainsi de sa connaissance des enfants lorsqu’il évoque dans le texte « les doigts », un jeu que sa fille de dix ans ne supporte plus pour une raison profonde selon lui : « Avec Monsieur Doigt, je deviens une partie du corps, je deviens les membres d’une créature indépendante, et comme une des nombreuses vérités possibles concernant la réalité est qu’elle peut ne se rattacher à rien et être détournée, tel un œil aveugle, elle ouvre un abîme (…) Ce gouffre existentiel n’apparaît qu’à celle qui est à cheval entre l’enfance et l’âge adulte ».
Cette réflexion appliquée trouve des lieux de réflexion dans ce livre, plus ou moins absent des six tomes de Mon Combat. Ainsi, la nature et ses métamorphoses acquièrent une place centrale et Knausgaard peut avec la lenteur d’un peintre, décrire les jeux de lumière sur les champs, les feuilles et le goût des pommes. Dans ce même rapport charnel au monde, il écrit sur le sexe. L’auteur revient là, dans un texte très libre sur « les lèvres vaginales », proposant une théorie sur le cunnilingus, et notre rapport à la honte. Cet attachement à l’expérience et à la reconstitution de l’instant pour forger sa pensée, il s’en explique aussi à plusieurs reprises dans ce livre, notamment lorsqu’il avoue son impuissance à comprendre certaines théories métaphysiques. Et peut-être n’est-il jamais aussi juste sur sa nature d’écrivain, que lorsqu’ il avoue n’avoir jamais compris Heidegger et lui préférer une autre forme de connaissance : « C’est ainsi que fonctionne l’expérience, elle se sédimente autour du Moi qui, à mesure que de nouvelles possibilités s’ouvrent à lui, devient de plus en plus difficile à cerner ». Et ainsi d’être vivant parmi les vivants, et ainsi d’être Moi insaisissable mais sans cesse pourchassé, Knausgaard forge son savoir des hommes.
En automne, Karl-Ove Knausgaard, traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon, éditions Denoël, 268p., 22€
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