François-Xavier Rouyer écrit et met en scène Possession. Une fable horrifique portée par quatre comédiens admirables, sur les apparences et la vanité.
Ce qui glace le sang c’est le malaise. On pourrait regarder tranquillement Possession de François-Xavier Rouyer comme une pièce horrifique, non dénuée d’humour, oscillant entre un bon épisode d’American Horror Story et La Maison du diable, si les personnages se contentaient d’être gentiment possédés par des démons ou des fantômes. Et si l’on savait pourquoi ces derniers leur veulent tant de mal. Mais non. Plane plutôt un malaise façon Funny Games. Dans les faits, à la façon dont la « femme qui va mal », une petite brune aux cheveux courts (époustouflante Pauline Belle), les raconte à la troisième personne, statique, d’une voix acidulée qui sied mal à sa situation. Échouée sur la grève, dans un paysage désolé, adossée à un (faux) rocher qui évoque la forme d’un crâne, la jeune femme raconte sa déchéance soudaine : otites à répétition, infections, pertes d’équilibre, déluges, panne de gaz, panne d’internet, etc. Qu’a-t-elle fait pour mériter ces avanies lui demande un paumé en dreadlocks, un peu sorcier (surprenant Romain Daroles) ? Rien. Ou presque. « Pas plus qu’une autre », dit celle qui s’était fantasmée actrice. Elle va pouvoir réaliser une partie de ce rêve. Son âme et son esprit se retrouveront en effet projetés dans le corps d’une autre, une insupportable designerqu’elle admire, et qui vient régulièrement en compagnie d’une collègue discuter sur la grève. Ces deux dernières (la comédienne et ventriloque Julia Perazzini, toute de noire vêtue et Mélina Martin dont la tenue blanche rappelle celle d’une infirmière) ne parlent que de travail. Tandis que l’une (Mélina Martin) ose à peine rêver, l’autre (Julia Perazzini) s’en sert comme faire-valoir et écrase sa comparse avec condescendance. Symbole d’un rêve centré sur le matérialisme, cette designer ne brasse que du vide. Ses discours dénués de sens sont pourtant proférés de façon si profonde qu’on baigne dans un certain malaise. Et on met un certain temps, là aussi, à comprendre ce qui cloche. Dépitée, dans la lumière bleutée d’un projecteur, notre ancienne victime prend possession des corps des autres, qui –la magie a ses petits désagréments- contaminent son esprit. Elle cherche alors à revenir à elle. En vain. Les âmes permutent dans les corps des autres, les personnages sont pris au piège comme dans un jeu de miroirs dont ils ne peuvent sortir. Il faut un talent fou pour réussir à feindre de s’intégrer dans d’autres corps, plus encore pour nous faire comprendre qui est qui. Le quatuor de comédiens réuni par François-Xavier Rouyer y parvient avec brio, comblant les failles d’un texte angoissant mais aux raccourcis idéologiques parfois un peu faciles, porté par une mise en scène épurée, intelligente et efficace.
La Possession, François-Xavier Rouyer, Carreau du Temple, (en partenariat avec le Centre culturel Suisse et le Théâtre Nanterre Amandiers), 28, 29, 30 octobre.
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