Quatre ans après Les Barbelés, Alexia Bürger met en scène Les Filles du Saint-Laurent de Rébecca. Déraspe et Annick Lefevre au Théâtre de la Colline. Un texte fort et féministe porté par une distribution époustouflante.
Elles apparaissent comme des fantômes, tandis que les lumières descendent sur le plateau. Vêtues d’aubes gris perle, de tuniques crème, de blanc ou de bleu pale, elles sont pourtant vivantes. Altières, déterminées, prêtes à en découdre. L’une d’entre elles incarne même le Saint-Laurent, porte la révolte pour la vie d’un fleuve qui perçoit les noyades, les derniers battements des cœurs des mourants. Et qui l’affirme : « je donne à boire les corps de ceux qui meurent en moi ». Cette prosopopée lugubre pourrait être grandiloquente et, osons le dire, ridicule. C’est surtout troublant, car interprété avec par Elkahna Talbi, une artiste de Spoken Word, impeccable dans son minimalisme. L’écran bleu qui se trouve derrière elles devient rouge sang. Il n’en fallait pas moins pour nous immerger dans cette histoire improbable : neuf femmes trouvent des cadavres inconnus, rejetés par le Saint-Laurent. Contrairement aux apparences, ce ne sont pas les morts qui vont compter mais ces femmes qui prennent la parole, derrière leurs micros. De tous âges, de toutes les apparences : brune, rousse, Noire, âgée, arabe, juvénile, maigre ou enrobée. Toutes sont en crise, toutes vont raconter leurs histoires et, bouleversées d’avoir vu ces visages envahis de « petites crevettes qui les dévorent », donner une nouvelle direction à leurs existences. La parole est reine dans la mise en scène d’Alexia Bürger. C’est heureux. Les filles du Saint-Laurent est en québécois. Il faut s’habituer à cette langue, à ses particularismes, à l’accent des comédiens. Cela ne prend que quelques minutes pour s’immerger. Les Filles du Saint-Laurent est une fresque chorale. C’est sa force et sa faiblesse. Sa faiblesse car la choralité ne fonctionne pas toujours. Surtout dans les passages chorégraphiques. Les gesticulations, répétitives, manquent parfois de subtilité et détruisent cette individualité que le texte et les actrices construisent si bien. Sa force car justement, ces femmes existent sur scène, poignantes dans leurs individualités. Leurs neuf histoires, si différentes les unes des autres nous passionnent : une femme âgée (bouleversante Louise Laprade) dont le Saint-Laurent a emporté l’amour et ne s’en est jamais remise, une toxico (percutante Annie Darisse) qui essaie de récupérer ses enfants, une jeune fille qui n’arrive pas à jouir (extraordinaire Gabrielle Lessard à la fois mutine et désespérée), une femme battue (ardente Marie-Thérèse Fortin) terrorisée par son mari, etc. La langue est aussi crue et pleine d’un humour qui tombe à des endroits incongrus, empêchant le texte de sombrer dans un registre pathétique. Les lumières et la scénographie sont impeccables, la musique de Philippe Brault, qui mêle piano et sonorités aquatiques, réussit le pari d’être à la fois onirique et tellurique. Malgré quelques faiblesses, Alexia Bürger signe un spectacle troublant, porté par des comédiennes talentueuses qu’on aimerait voir plus souvent en France.
Les Filles du Saint-Laurent de Rébecca Déraspe en collaboration avec Annick Lefebvre. Mise en scène Alexia Bürger au Théâtre de la Colline, du 4 au 21 novembre 2021
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