Fort d’une superbe distribution, Ludovic Lagarde s’attaque au très noir Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès.
Il n’y a plus d’espoir. Dans quelques heures, les premiers rayons du soleil illumineront la cité. Le crime de Koch (Laurent Poitrenaux) ne sera un mystère pour personne. Sa ruine sera officielle. Refusant de subir l’opprobre d’un procès pour abus de biens sociaux, lui le self-made man, préfère tenter la mort, de l’autre côté du fleuve, au cœur des anciens quais abandonnés dont il s’est extirpé, devenus bidonville. Embarquant dans sa chute sa très bourgeoise secrétaire (épatante Christèle Tual), l’homme erre, en quête de pierres suffisamment lourdes pour le lester et l’entraîner aux fonds des eaux sombres qui lèchent tristement les docks.
La nuit plus noire qu’à l’habitude est propice aux mauvaises rencontres. Face au riche investisseur, un jeune homme (Micha Lescot), fils ainé d’une famille d’émigrés se dresse. Voyant enfin une échappatoire à sa vie de misère, il va tout faire pour retarder l’inévitable et en tirer le meilleur profit, quitte à abandonner sur le carreau, mère malade (Dominique Reymond), sœur faussement vierge effarouchée (Léa Luce Busato) et père tyrannique, veule (Laurent Grévill). En modifiant par sa présence les règles immuables de ce microcosme sociétal que la précarité et la débrouille cimentent, Kock amène la discorde. Comment rétablir l’équilibre ? En éliminant l’intrus de l’équation.
De sa plume ciselée, de sa langue si pure, si poétique, Bernard-Marie Koltés signait une fable baroque, où il donnait la parole aux exclus, ceux que le capitalisme a broyé. Faisant de ces ombres errantes, des êtres rêvant d’une part de lumière, il dresse un portrait de nos sociétés modernes, sans foi, ni loi.
S’appuyant sur un casting parfait, Ludovic Lagarde, non sans élégance, fait le choix d’esthétiser le théâtre de Koltès, d’en lustrer les contours. Hangars bleu-gris, espace scénique peu poussiéreux, vêtements et chaussures sentant le neuf, tout est un peu trop chic pour donner corps et chair aux mots du dramaturge, à sa vision idéalisée du fameux Pier 32, haut lieu des rencontres nocturnes et interlopes du New York des années 1970. L’objet est de belle facture, les comédiens excellent dans des partitions sur le fil, le seul bémol est un je-ne-sais-quoi de crasseux qui manque, pour nous plonger vraiment dans la fange d’un monde.
Quai ouest de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène de Ludovic Lagarde.
Du 17 au 19 novembre à la Comédie de Clermont, Clermont-Ferrand. Du 8 au 16 décembre au TNS, Strasbourg et du 3 au 19 mars au théâtre de Nanterre-Amandiers