Sébastien Daucé redonne tout son éclat à cet ébouriffant chassé-croisé qu’est « Cupid and Death », masque datant du XVIIe siècle anglais signé James Shirley sur des musiques composées par Matthew Locke et Christopher Gibbons où, bien malgré eux, Amour et Mort échangent leur rôle au grand dam de Nature qui y perd son latin.
Il y a Désespoir avec une corde enroulée autour du corps en vue de se pendre à la première occasion. Il y a Nature avec un ananas sur la tête et une traîne disproportionnée censée englober le monde. Il y a surtout Cupidon et Mort, protagonistes centraux de cette comédie très enlevée qu’est Cupid and Death, œuvre appartenant à la tradition du masque – genre qui connut son heure de gloire en Angleterre dans la première moitié du XVIIe siècle – qu’on peut découvrir en ce moment interprétée par l’ensemble Correspondances sous la direction de Sébastien Daucé dans une mise en scène savoureuse signée Jos Houben et Emily Wilson.
Mêlant théâtre, musique et danse, les masques étaient conçus pour être joués dans des occasions rares devant des personnages importants. Une représentation de Cupid and Deathfut donnée en 1653 pour l’ambassadeur du Portugal de passage à Londres où il devait négocier la paix avec Oliver Cromwell. Sur un livret écrit par James Shirley la musique est attribuée aux compositeurs Matthew Locke et Christopher Gibbons – ce dernier considéré comme un précurseur d’Henry Purcell.
Récemment redécouverte, l’œuvre est l’unique exemple d’un masque complet à être parvenu jusqu’à nous. Loin d’être un objet poussiéreux, elle surprend par sa vivacité et son humour piquant, dont l’organiste et claveciniste Sébastien Daucé à l’origine de cette production, a saisi tout le potentiel. L’argument inspiré d’une fable d’Esope raconte comment, un soir dans une taverne, un chambellan se targuant de « jouer un mauvais tour à la Mort » a échangé pendant leur sommeil les flèches censées être envoyées par Cupidon et celles que la Mort destine aux vivants. De cet acte malvenu résulte un désordre considérable. Tandis que les amants meurent sur le coup, les vieillards soudain pleins de sève sont saisis d’une fulgurante frénésie amoureuse. Nature – impeccable Lucie Richardot – désemparée face à un tel chaos ne sait plus à quel saint se vouer. Heureusement, Mercure débarqué de l’Olympe, remet bientôt tout le monde dans le droit chemin dans une tirade chantée par Yannis François, tout en nuances.
De cette folie généralisée, on est à l’évidence dans une atmosphère brindezingue de carnaval, Jos Houben et Emily Wilson font leur miel, suggérant au passage les outrages très contemporains que l’homme inflige à la nature. Dans un décor de bric et de broc, réalisé ainsi que les costumes et les masques par Oria Puppo à partir de matériaux de recyclage – carton découpé, papier d’emballage, caisses en bois, etc. –, le spectacle va bon train, jeu, musique, chant et danse interagissant avec brio. Annoncés par un bonimenteur interprété par Soufiane Gerraoui, les cinq actes – ou entrées – précédés d’un prologue déploient leur magie menés par des officiants musiciens, acteurs, chanteurs, quand ils ne sont pas tout cela à la fois, d’une étonnante ubiquité.
Ainsi du chambellan interprété par Nicholas Merryweather – acteur, chanteur et joueur de hautbois – qui, devenu montreur de singes, tombe amoureux de ses bêtes dans une scène d’un grotesque hilarant. La seule réserve que l’on puisse exprimer sur ce spectacle est sa volonté parfois trop explicative, comme s’il fallait à tout prix se mettre à la porté d’un public que cette fantaisie poétique où humains, dieux et allégories partagent un même espace serait susceptible de désorienter. Il n’en reste pas moins que dirigée à la perfection depuis le plateau par Sébastien Daucé, ce masque polymorphe ravit par sa grâce et sa drôlerie servi sans temps morts par des musiciens qui ne se contentent pas d’interpréter une œuvre mais la font vivre aussi dans l’espace de la scène.
Cupid and Death, musique Christopher Gibbons et Matthew Locke, texte James Shirley, direction musicale Sébastien Daucé, mise en scène Jos Houben et Emily Wilson. Jusqu’au 27 novembre à L’Athénée, Paris. Puis les 9 et 10 décembre au Théâtre Impérial, Compiègne ; les 14 et 15 décembre à l’Opéra de Rouen.