Au Théâtre du Rond-Point, Catherine Marnas s’empare de la toute première pièce de Tony Kushner, A Bright Room called day, chronique troublante de la montée du fascisme.
Sept ans avant Angels in America, Tony Kushner s’intéresse déjà au théâtre politique et au danger du libéralisme à outrance. Face aux coupes sombres opérées par Reagan, lors de sa réélection en 1985, sur les budgets des programmes sociaux et culturels américains, le dramaturge s’inquiétait de leur conséquence sur son pays et tout particulièrement sur les risques d’une montée du populisme. Voyant un parallèle évident avec les années précédant l’élection d’Hitler à la tête de l’Allemagne, il imagine une pièce de théâtre qui met en miroir le New York des années quatre vingt et le Berlin des années trente. La comparaison entre les deux époques est inquiétante.
Devant le repli identitaire qui fleurit en Europe, Catherine Marnas trouve dans la pièce de Kushner une résonance intéressante, une mise en abyme permettant d’appréhender la société à venir à l’aune de l’histoire. Aussitôt, elle demande les droits. Secoué par l’arrivée de Trump au pouvoir, le dramaturge est en pleine réécriture de sa pièce et lui en offre l’adaptation. Entremêlant les époques, glissant quelques allusions bien senties sur la politique populiste du 45e président des États-Unis, dont Kushner se fait le premier opposant – son double intervenant sur scène comme détracteur des folles décisions de cet homme orange- , il signe un texte au vitriol où une New-Yorkaise en guerre contre l’ « Establishment » compare Reagan à Hitler, où une actrice berlinoise de seconde zone et ses amis artistes font la fête tout en assistant impuissants à la fin de la république de Weimar, où une Américaine s’inquiète qu’ « un clown du Queens avec des hôtels en faillite » accède à la Maison Blanche.
Face au risque de la dérive, comment réagir ? Difficile à dire. Certains refusent de voir l’imminence de la catastrophe et se voilent la face. D’autres tentent la révolte quitte à se brûler les ailes, à mourir pour leurs idées. Quelle route prendre ? Celle de la soumission ou celle de la contestation. Difficile à dire. Tout tient à un fil, une impulsion, une insouciance. S’appuyant sur une troupe de comédiens particulièrement habités, Gurshad Shaheman et Julie Papin en tête, Catherine Marnas touche juste et réveille nos consciences démocratiques engourdies. Bien qu’assez pessimiste, la pièce révèle sa force incandescente, sa densité charnelle et viscérale dans une scène finale époustouflante, où l’auteur ne laisse plus le choix au spectateur. Conscient de ce qui se trame, il ne peut ignorer les derniers mots prononcés, « quitter la salle et agir ». Plus possible de faire la sourde oreille, à chacun de choisir son camp, de prendre parti.
A Bright Room called day de Tony Kushner. Mise en scène de Catherine Marnas, Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 5 décembre.
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