Le Centre Pompidou accueille Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz jusqu’au 2 janvier. Une programmation cinématographique, polysémique et politique.
Ils s’activent dans le cinéma depuis plus de trente ans. Après des débuts dans le « cinéma du milieu » (deux productions classiques, La Nuit bengali en 1988 et La Nuit sacrée en 93), Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz (disons, les Klotz) ont pris un virage plus radical, tant politiquement qu’esthétiquement, à partir du film Paria (2000). Dès lors, ils se sont attachés à filmer les marges, les bordures et interstices de la société, les « invisibles »-opprimés-réprouvés-marginalisés de toutes latitudes et toutes catégories : SFD dans Paria, migrants africains et violences policières dans La Blessure, salariés du capitalisme ultralibéral dans La Question humaine, jeunesse en révolte dans Low life, migrants en transit à Calais dans Héroïque lande/La Frontière brûle. Leur nouveau film, montré dans cette rétrospective s’intitule Nous Disons révolution, histoire de bien enfoncer leur clou rageur dans le monde comme il va mal. Ce souci de se placer résolument aux côtés des « dominés » ne leur a jamais fait oublier la question du cinéma et l’ambition d’accorder préoccupation politique et esthétique. Leur style se caractérise par une certaine austérité, un refus du spectaculaire ou des effets trop voyants, un goût du plan fixe, des cadrages minutieux, de la durée qui permet de bien regarder ceux que l’on filme. Pour toutes ces raisons, le cinéma des Klotz n’est pas éloigné de ceux d’un Pedro Costa ou d’un Sharunas Bartas. Pour autant, nul dogmatisme stylistique chez eux : pour preuve, le formidable Héroïque lande/La Frontière brûle, en immersion dans la jungle de Calais, où le couple de cinéaste a assoupli son style en se pliant aux circonstances du réel peu ordinaire dans lequel ils étaient plongés.
L’œuvre et le positionnement radical des Klotz n’est pas sans susciter débat ou discussion féconde. Filmer les démunis avec dignité et beauté les élève et les réintègre dans la communauté humaine mais recèle toujours le risque de l’esthétisation de la misère. Dans La Question humaine, les Klotz s’inspiraient des théories du philosophe italien Georgio Agambem en établissant un parallèle sinon une continuité entre capitalisme et système concentrationnaire nazi, ce qui peut à tout le moins se discuter.
Il est notable que les Klotz ont toujours cherché à accorder théorie et praxis, idées et actions, faisant toujours dans le même mouvement de l’art et de la politique, dans une ébullition créative permanente qui a rayonné bien au-delà du cinéma. Leur cible principale, ce sont les frontières, qu’elles soient politiques, territoriales, ethniques, artistiques. Ainsi, leur corpus comporte des fictions et des documentaires, des courts et des longs métrages, mais cette œuvre protéiforme se prolongera durant leur mois au Centre Pompidou par des installations, des photos et des ateliers de réflexion pluridisciplinaires. Comme s’il leur fallait combattre le risque muséal d’une rétrospective et le risque d’autosatisfaction d’artistes se retournant sur leur oeuvre par un activisme politico-artistique ne connaissant pas de trêve. On entrevoit là une ambition, une éthique et une discipline assez admirables.
Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, Le cinéma en commun,
Centre Pompidou, jusqu’au 2 janvier. Plus d’informations en suivant ce lien.