Pèlerinage intense dans les entrailles de la matière avec Lydie Arickx à la galerie Loo and Lou..
Quatre squelettes, l’air goguenard, nous ramènent à notre dérisoire réalité de vivants. L’un se cache les yeux, un autre le sexe. Je souffle : « Ils se marrent ? ». Lydie Arickx confirme en éclatant de son rire aigu, jovial. Aucun doute, l’artiste est complice de ces quatre morts-vivants. En conciliabule de l’au-delà, leurs mandibules et autres cartilages, par endroits détachés de leur support, semblent se mouvoir dans une danse macabre. Leurs os se mêlent à la résine, bientôt avalés par celle-ci, matière agglomérée, malaxée, prenant des formes peu sûres, cherchant à se frayer un chemin dans cette autre existence qui est peut-être celle du végétal. Ici, le registre est « catacombe » ! La précédente exposition de l’artiste, cet été, au château de Chambord, s’intitulait Arborescences. Sans étonnement, celle-ci se nomme Lianescences. Terme luisant d’un naturalisme sensuel. Dans chaque œuvre, les lignes s’enlacent et s’entremêlent, les matières se nouent, s’étirent et se mangent, évolutives, distendues, renflées, hypertrophiées. De ses paumes créatrices, dans une perspective deleuzienne, l’artiste fait rhizome.
Elle mime le vivant, au premier temps de son éclosion fragile, au dernier temps de sa putréfaction monstrueuse. Voici le verre, la résine, le bronze, le charbon, le béton, la cire… Alignés sur une table, des échantillons de dessins et de matières organiques croquent des formes animales, chrysalides en formation, nervosités en prolifération. Ils sont les fragments d’un herbier ensorceleur. « Dans ces petites boîtes, ce sont un peu comme des vestiges ou un cabinet de curiosité » s’émerveille l’artiste en détaillant ses curiosités, héritières des « mirabilia » de la Renaissance. Deux têtes se dévorent, une silhouette humaine s’éveille, tente de s’extraire d’un magma. Hymne à l’informe, à l’inachevé. Non loin, Job, le corps dense, magnifique, relevé à l’encre et à la mine de plomb, s’affranchit du papier dans un effort désespéré, énergie sublime de la vie et de la résilience. Arickx expérimente la matière depuis toujours et crée par intuition, impulsion, affection même. L’existence est son grand sujet, dans son écorce organique, viscérale. Arickx peint ce qui mute, ce qui pousse, se régénère, se dilate. Et le beau n’y est pas toujours convoqué. Dans une obsession pour les liens intimes et cycliques qui cimentent la vie à la mort. Obsession qui l’habite depuis la mort de son père, survenue concomitamment à la naissance de son deuxième fils. Rupture intense, immense « faille » comme le suggère le titre du plus grand tableau de l’exposition, barré, presque saigné en son centre par une planche. Peu de temps après, alors qu’elle venait d’acheter une layette pour son nouveau-né, elle grimpe jusqu’au dernier étage de la faculté de médecine, là où sont conservés des paquebots de cadavres. Elle les copie, les autopsie avec son crayon. Depuis, elle n’a cessé de travailler sur « la consistance de la mouvance des corps et la luxuriance de leur mécanique ». Avec des latences de Rembrandt, Gautier d’Agoty, Rebeyrolle, cette ontologie picturale nous étreint.
Exposition Lydie Arickx, Lianescences, jusqu’au 22 janvier 2022, Loo & Lou Gallery
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