Soignée, nourrie, comme Branly sait le faire, l’exposition consacrée aux sculptures du sud-ouest du Congo est une réussite.
C’est embarrassé par la conscience de son ignorance que le profane aborde cette exposition ; c’est rassasié intellectuellement et esthétiquement qu’il en ressort. Non qu’il ait subi le mukanda, cette institution commune à plusieurs groupes culturels du sud-ouest du Congo, la région sur laquelle l’exposition lève le rideau ; non que, comme les jeunes hommes qui subissent ainsi l’initiation masculine, notre profane entre sur la scène d’une vie nouvelle. Mais Julien Volper, le commissaire, a su, à l’instar d’un metteur en scène attentif, faire ressortir dans la plus grande clarté la « part d’ombre » du titre – qui ne tient pas seulement à ce que certains objets, les masques yaka associés au mukanda par exemple, en aient éclipsé d’autres, mais aussi au peu de familiarité du visiteur lambda avec les enjeux formels, fonctionnels et historiques.
À tout seigneur, tout honneur : les masques ouvrent l’exposition, et la fascination nous immobilise un instant devant ce grand masque kakuungu, de la culture suku, avec ses protubérances sous les yeux. Manuel Jordán Perez, dans le catalogue et l’instructif aperçu du spectre typologique des masques initiatiques de la région qu’il fournit, insiste sur l’« effroi » que doit engendrer le kakuungu, « esprit investi d’une puissance extraordinaire ». Quelques vitrines plus loin, chez les Tshwoke, la terreur est désamorcée par katoyo : le couvre-chef figure le casque « pain de sucre » du colon, qui incarne ici le rustre, le barbare. C’est ainsi sous le signe du théâtre que se place la section (« commedia dell’arte congolaise » lit-on même quelque part) ; et sans doute le théâtre fournit-il ce dénominateur commun qui atténue le dépaysement de notre profane.
Comme au théâtre, les détails ne sont jamais insignifiants, et, lorsqu’aux masques succède la statuaire, l’attention est dirigée vers les couleurs et les matériaux. Ainsi cette extraordinaire créature dendriforme, svelte comme un Giacometti qui aurait renoncé aux accidents superficiels de la matière, et que n’eût pas désavouée Ovide, doit à son style et à sa couleur son attribution probable aux Yanzi. À l’instar du théâtre, le poids symbolique est sensible. Julien Volper suggère ainsi que cette statue lobèmm (culture Yanzi, encore), dont le buste semble paré d’un écu médiéval, est taillée dans un bois dont les propriétés médicinales auraient pu avoir un lien avec sa fonction : apporter son assistance lors de l’ordalie du poison.
Plus loin, d’autres objets, empruntés au quotidien, mais travaillés avec un extraordinaire raffinement, constituent, avec leurs formes humaines, un petit théâtre à eux seuls, tandis que telle sculpture évoque un personnage historique. Mais arrêtons-nous, pour finir, sur une scène privilégiée, la « case cheffale pende », « sorte de « temple », de lieu rituel assurant le lien avec les ancêtres », glose Julien Volper. À l’enseigne de ce panneau sculpté auquel, comme une figure de proue, s’adosse un personnage féminin, c’est la pièce, mieux : le mystère, du pouvoir qui se joue.
Exposition La Part de l’ombre. Sculptures du sud-ouest du Congo, musée du quai Branly-Jacques Chirac, jusqu’au 10 avril
Catalogue La Part de l’ombre. Sculptures du sud-ouest du Congo, sous la direction de Julien Volper, musée du quai Branly-Jacques Chirac/Skira, 176 p., 35€