L’année est encore jeune, mais le foisonnant et tonifiant festival Hors Pistes, à Pompidou, se penche sur l’âge. Celui des images. Rencontre avec Tristan Garcia, qui ouvrira les festivités.
Hors Pistes : le nom du festival fait surgir pléthore d’images. Ça tombe bien, d’images il en est question, mais pas figées dans l’imagerie. Au contraire : affectées, pour cette 17eédition, par le temps et son flux. Théâtre, exposition, projections, Grégory Chatonsky, Albert Serra, la mémoire vive de Jean-Luc Nancy, bien d’autres encore : il faut bien, pour donner son âge, ou plutôt ses âges, à l’image, toutes ces facettes, toutes ces pensées. Dont celle de Tristan Garcia. Le romancier et philosophe nous dit quelques mots.
Quelles réflexions suscite « les âges de l’image », le thème sous lequel se rassemblent les différentes manifestations du festival ?
Les différents modes de production de l’image, quelle qu’elle soit, reposent souvent sur l’idée que l’image éternalise, qu’elle sort du temps. C’est un lieu commun de l’histoire de la peinture, de l’histoire de la photographie. Mettre en image, c’est arracher au devenir, au passage du temps, à la mort. C’est le premier moment, mais dans un deuxième moment, l’image replonge dans le temps. Et c’est l’intérêt de l’intitulé du festival : l’image vieillit. On est confronté sans cesse au vieillissement des matériaux mais aussi des techniques. Les images sortent du temps, elles y retournent.
C’est un rôle écrasant qui est confié aux images : ni plus ni moins que la promesse de la vie éternelle…
Il s’agit très clairement de la transformation de catégories religieuses en catégories esthétiques. Chez beaucoup de théoriciens de la photographie, la métaphore qui ressurgit, c’est celle du saint suaire de Turin. De la même manière que le corps du Christ s’est imprimé à même le tissu, quelque chose de la réalité s’imprime sur la plaque sensible. Une forme de pensée religieuse s’est laïcisée en passant dans l’image, et en particulier dans l’image photographique. Avec cette idée que la photographie pourrait devenir un dispositif technique qui réaliserait la promesse religieuse de la résurrection des corps.
Le temps sera au cœur de votre conférence inaugurale, sous les espèces du « désordre du temps ». Quel lien faites-vous avec le thème du festival ?
Je me demande comment, lorsque nous voyons des images, nous court-circuitons l’ordre du temps. Comment quelque chose de passé devient présent, et comment ce passé qui devient présent, à son tour, a une vie historique. Dans ces conditions, comment vieillissent les images ? Je crois qu’il y a quatre formes de vieillissement. La scène représentée, d’abord, s’éloigne dans le temps. La matière, elle aussi, vieillit, le support s’abîme matériellement, de la peinture rupestre à la photographie. Mais le dispositif technique vieillit également : lorsqu’on regarde un polaroïd ou un super-huit, on est ramené aux années 70… Lorsqu’on regarde certains types d’images produites par certaines caméras, on est ramené à un moment de l’Histoire. Enfin, et c’est ce qui m’intéresse le plus, c’est l’idée que la disposition à être mis en image, la façon dont les corps réagissent au fait de poser, d’être peints, d’être photographiés, ça aussi ça vieillit.
Festival Hors Pistes, Centre Pompidou, du 20 janvier au 6 février