Dexter Palmer signe avec Mary Toft ou la reine des lapins, un roman dérangeant, une fantaisie subtilement au-delà du rationnel.
À l’automne 1996, lors d’un cours de post-doctorat, l’écrivain américain Dexter Palmer découvre une histoire plutôt incroyable dont il va mettre un certain moment avant de trouver la manière d’en tirer le roman ébouriffant que Quai Voltaire nous propose aujourd’hui. Le rideau se lève en 1726, dans un bourg, le village de Godalming dans le Surrey. Là où un fils de pasteur, le jeune Zachary Walsh, devient à quatorze ans l’apprenti assistant du médecin et chirurgien John Howard, meilleur et unique soignant de la région. Là où s’installent les neuf carrosses et chariots délabrés constituant l’Exposition des Curiosités médicales proposée par un certain Nicholas Fox qui se plait à déstabiliser les foules. Moyennant la somme de six pences, il propose aux villageois de découvrir « les transformations les plus extraordinaires, les plus effroyables de la forme humaine glanées aux quatre coins des îles britanniques ». Femme à deux têtes ou homme doté d’un œil solitaire au milieu du dos sont notamment ici réunis. Un spectacle formellement interdit aux femmes enceintes sur lesquelles il pourrait avoir les pires conséquences, comme l’affirme le sieur Fox. Ceux qui y assistent en ressortent troublés, se demandant s’il s’agit là d’artifice ou de réalité…
Plus étonnant encore est l’arrivée de Joshua Toft, solide ouvrier tisserand, au cabinet du docteur Howard. L’heure est grave. Son épouse Mary, qui pleure des larmes de sang la nuit, serait sur le point d’accoucher. Cela semble hautement improbable au médecin puisque la dame a fait une fausse couche six mois plus tôt. Rendus sur place, Howard et Zachary sont confrontés à un phénomène pour le moins désarçonnant. Mary Toft accouche bien. Sauf qu’il s’agit d’une chose, d’une chose de nature animale. Un lapin disséqué, en morceaux et sans vie. Le premier d’une longue et régulière série, Mrs Toft en délivrant un tous les trois jours… L’événement finit par remonter jusqu’aux oreilles du roi George. Lequel, plus qu’intrigué, juge bon d’envoyer de Londres un émissaire à perruque de crin afin d’évaluer sur place la situation et d’examiner « de ses yeux son cas le plus singulier ». Le volubile docteur Nathanael St André se rend donc à Godalming flanqué d’un jeune assistant, parfaite copie vestimentaire de son maître dont il partage également la même suffisance. Véritable phénomène, Mary Toft se voit convoquée à la cour de Londres par le roi George en personne…
Dexter Palmer, dont les défuntes éditions Passage du Nord-Ouest avaient déjà fait traduire Le rêve du mouvement perpétuel, maîtrise parfaitement les codes du roman anglais. Tirant le meilleur parti d’un fait divers qui fit grand bruit au XVIIIe siècle, il signe une réflexion sur la raison et l’illusion. En se montrant un conteur aussi alerte qu’efficace.
Dexter Palmer, Mary Toft ou la reine des lapins, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel, Quai Voltaire, 448p., 24 €.