Tête d’affiche du prochain festival Présences à Radio France, le compositeur Tristan Murail est l’un des pères de la musique spectrale. Après avoir occupé une chaire de composition à Columbia University à NYC et au Mozarteum de Salzburg, il enseigne actuellement au conservatoire de Shanghai.
Vous êtes au coeur d’une riche programmation à Présences avec des créations mais aussi des pièces de la deuxième moitié des années 70 qui ont marqué l’histoire de la musique. Cette idée d’impact historique, comme la vivez-vous ?
J’en prends acte avec un peu d’étonnement, même si, quelqu’un m’a dit un jour : « faire de la composition, si ce n’est pas pour être Beethoven, ça ne sert à rien. » Et ce n’est pas faux. On peut être surpris de ce qui arrive mais en réalité, on fait tout pour !
Diriez-vous que vous faites le même métier que Beethoven ?
Probablement pas d’un point de vue sociologique mais en ce qui concerne la composition, les mêmes questions éternelles se posent : la forme, la transmission des idées aux auditeurs… Certes, le « matériau », le langage (si on peut parler de langage) a évolué, mais ces questions n’ont pas changé.
Vous parlez de transmission au public, de perception…
Oui, la perception et ses aspects psychologiques, voilà ce qui m’intéresse — de plus en plus. Avant cela, il a fallu résoudre des problèmes techniques, trouver les « briques », les « éléments de langage » qui permettaient de créer les formes, les idées, les couleurs dont j’avais besoin. Ensuite il y a eu l’apport de l’informatique. Dans les années quatre-vingt à l’IRCAM, j’ai pu créer mes propres logiciels, ce qui m’a débarrassé de nombreuses contraintes de calcul et ouvert de nouveaux horizons. Ainsi j’avais les matériaux et la façon de les utiliser, de les transformer. A partir de là je me suis posé la question de la production du discours, en tenant compte des aspects psycho-acoustiques, c’est-à-dire, de la manière dont on perçoit les sons car, comme je le dis souvent, la musique ne s’écrit pas avec des notes mais avec des sons. D’ailleurs la question de la gestion du temps musical a souvent été enfermée dans le piège de la notation (une ronde divisée en deux etc…). Pour l’audition, cela ne marche pas comme ça ; le temps de l’écoute n’est pas le temps du chronomètre. Autrement dit, à certaines époques, on a confondu la carte et le territoire. Pour moi la partition est juste une sorte de mode d’emploi pour les interprètes afin qu’ils reconstruisent la musique.
Comment intégrer les interférences inévitables de l’interprète ou même du public ?
Je dis souvent qu’entre l’idée initiale et ce qui arrive dans le cerveau du public, il y a une suite de distorsions ou, plutôt, d’approximations. Mon rôle est d’essayer de les minimiser. On essaie de noter au mieux et puis, une part de la transmission se fait aussi par une sorte de tradition orale d’interprétation qui se crée au fil du temps et qui est indispensable. Quant au public, c’est vrai qu’il y a une dégradation de l’univers sonore autour de nous, j’observe une grande banalité dans les musiques commerciales, très peu d’invention musicale.
D’où viennent vos sources d’inspiration ?
Mot abstrait que celui d’inspiration. Dans un des concert de l’ensemble Itinéraire, il y a un cycle intitulé Portulan.Chaque pièce est basée sur une expérience de quelque chose qui m’a frappé, que ce soit d’origine littéraire picturale ou naturelle. Je m’intéresse aussi aux musiques du passé, à des choses qu’on a négligées dans l’histoire. Il y a encore des choses à creuser, que ce soit chez Debussy, Scriabine ou Liszt— un grand précurseur, que ce soit pour la technique pianistique, la façon d’utiliser les résonances du piano, le langage harmonique lui-même…
Donc il y a encore de la musique nouvelle à écrire, des choses à découvrir…
Oui, notamment dans le champ harmonique !
32ème festival Présences, festival de création contemporaine de Radio France, du 8 au 13 février 2022
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