Rocambolesque et épique, ce Candide offre à la troupe d’Arnaud Meunier l’occasion de faire vivre avec virtuosité le texte de Voltaire. Nous avons pu le voir au Théâtre de la Ville.
La route est longue jusqu’au jardin de Candide. Les évènements, innombrables, les guerres, incessantes, les leçons de vie, imparables. Dans la pièce mise en scène par Arnaud Meunier, ce jardin offre un éclatant final à un parcours d’apprentissage que pendant plus de deux heures les acteurs ont incarné sans faillir. Et il en faut de l’énergie, et de la virtuosité scénique pour jouer, sur une scène presque vide, les guerres, les viols, les enlèvements, les tremblements de terre, les bûchers, les poursuites qui ponctuent cette fable. « Le meilleur des mondes possibles » se mesure au rythme de ses catastrophes.
Sur la scène du Théâtre de la Ville, à Cardin, images et musique ont tenu la scénographie sophistiquée de la pièce et ont permis aux acteurs de déployer les variations de leurs talents. Premier défi, adapter une fable philosophique pour le théâtre : Meunier fait le choix d’alterner narration et dialogues, n’hésitant pas à créer un personnage de narratrice qui vient s’adresser au public. Ce pourrait être fastidieux, ça ne l’est pas, car le récit incarné accentue la dimension fabuleuse de l’ensemble : nous sommes dans un conte, presqu’un rêve, et à partir de ce moment-là, tout est acceptable. Candide échappe in extremis à la condamnation à mort, Cunégonde, Paquette, annoncées mortes, réapparaissent, même Pangloss, brûlé vif, n’est en réalité pas mort…Le fantasque donne le ton et le rythme. Arnaud Meunier, dont on se souvient des adaptations de Stefano Massini, notamment Lehman Brothers, se désintéresse du naturalisme, pour insuffler une musicalité saisissante à ses pièces. Ici, la vitesse est de rigueur. Et comme dans Lehman Brothers, le burlesque et la pensée se mêlent. Les acteurs relèvent le pari d’un jeu aussi multiple qu’athlétique : Candide surjoue la naïveté par un juste Romain Fauroux, Cunégonde atteint grâce à Manon Raffaelli, une gouaille et une sensualité d’actrice un peu Signoret, Philippe Durand nous fait un Pangloss au bord de la folie et Frédéric Semedo, un Cacambo haletant. Ensemble, ils jouent un jeu qui jamais ne lâche, et se répondent à la perfection.
Mais je n’ai pas parlé de Cécile Bournay. La révélation de ce spectacle. Une scène lui offre un morceau de bravoure : le fameux récit de la vieille. Voltaire, dans ce passage, mise sur l’hyperbole et l’humour noir ; alors que Cunégonde se plaint de sa vie, elle a tout de même été violée et ses parents, assassinés, la vieille lui raconte sa propre expérience, summum d’atrocités, passant de l’amour déçu à l’esclavage, du viol collectif à la mutilation. Cécile Bournay, agile et lutine, s’avance au-devant de la scène, et bondissante et haletante, nous projette dans son aventure. Elle joue sur les tons, les registres, tournoyant sur elle-même, pendant plusieurs dizaines de minutes au cours desquelles la salle était suspendue à son jeu. Rarement, une actrice a pu ainsi maintenir la fascination du public avec une telle facilité. En l’écoutant, on se dit que c’est là ce que Meunier et ses comédiens ont réussi à extirper de Candide, dont on croyait tout savoir : la puissance de la narration. Voltaire a écrit une épopée grotesque au cours de laquelle les personnages se consolent par des histoires. Cunégonde a souffert, a survécu, mais, lui dit la vieille, elle n’est pas la seule. Et là peut-être réside un réconfort ; dans le récit partagé. Avant le philosophe, ou l’avocat des justes causes, c’est le poète Voltaire qui consacre dans sa fantaisie, la force des récits.
Candide, de Voltaire, mise en scène Arnaud Meunier, Les Théâtres, Jeu de Paume, Aix-en-Provence, 09-11 mars, Comédie de Saint-Etienne, 23-24 mars