Le claveciniste et chef Christophe Rousset fête les 30 ans de ses Talens Lyriques avec une série de concerts et une Iphigénie en Tauride attendue à l’Opéra de Rouen.
Extraits.
Retrouvez l’intégralité de cette interview dans notre numéro de mars!
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Quand avez-vous su que la musique serait votre métier ?
J’étais parti pour faire Maths Sup mais, en 1979, les chars russes sont entrés en Afghanistan et je me suis dit : c’est le début de la troisième guerre mondiale, donc si je dois vivre encore un ou deux ans, autant faire un truc qui m’éclate, et j’ai donc choisi d’entrer au conservatoire en clavecin, ayant abandonné le piano depuis l’âge de 15 ans pour m’y consacrer.
Ce n’est pas lassant le clavecin, on n’a pas envie, parfois, de revenir au piano ?
Non, quand on est enfant, le piano c’est un truc surdimensionné et tout noir, le clavecin c’était plus à ma taille. Certes c’est un instrument abstrait, intellectuel, compliqué, on doit tout doser de façon à faire croire que c’est un instrument dynamique et expressif. Il faut une technique très solide. Et je suis donc parti en Hollande pour l’acquérir.
C’est après avoir obtenu le premier prix du concours de Bruges que vous avez songé à créer votre ensemble ?
Non, j’ai d’abord fait des continuos et suis devenu l’assistant de William Christie sur des productions marquantes comme l’Atys de Lully à l’Opéra-Comique, Les Indes Galantes à Aix-en-Provence. Je me satisfaisais d’être l’éminence grise derrière mon clavecin mais il m’a demandé de plus en plus souvent de diriger et j’ai réalisé que ce serait génial de pouvoir faire ses propres choix, en matière de répertoire, de chanteurs…
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Revenons à Gluck que l’on est impatient de vous entendre diriger à nouveau à l’Opéra de Rouen…
La première fois que j’ai entendu sa musique, j’ai trouvé ça emmerdant, grandiloquent, pompeux, je me suis dit : ça ne raconte rien ! Pourtant, si on évite de la statufier, comme hélas la plupart des chefs, ça devient une musique vibrante, passionnante…
Puisque c’est Lully qui a inspiré votre manière d’aborder Gluck, lequel de vos enregistrements préférez-vous ?
Je dirais Amadis, parce que la distribution est très homogène et fabuleuse. C’est l’un de mes disques favoris avec notre Faust hors-normes, et le Mithridate avec Dessay et Bartoli, parce que c’était une expérience dingue : la rencontre d’un cast exceptionnel avec une musique jeune et déjantée. J’ai retrouvé un peu de cette verdeur et de cette passion mozartiennes, quand on a fait sa Betulia Liberata.
En tant que claveciniste, vous êtes le plus fier de vos Bach ?
Je dirais Bach oui, surtout mon Clavier bien tempéré. Après ses Toccatas, je viens d’enregistrer L’Art de la fugue. Je ne ferais pas trois versions des Goldberg comme Leonhardt, je préfère laisser la place aux jeunes, comme Benjamin Alard et Jean Rondeau qui sont formidables. J’ai beaucoup enseigné à des clavecinistes qui forment à leur tour des jeunes, et je suis ravi qu’on propose aujourd’hui des interprétations radicalement différentes des miennes.
Que pensez-vous avoir apporté dans Bach ? Une vitalité, une joie, une lumière ?
J’ai cherché à trouver un équilibre entre la complexité géniale de sa musique, intellectuellement fascinante, et l’émotion que j’y cherche et y trouve. Je ne peux pas imaginer jouer un contrepoint à six voix, le plus sophistiqué soit-il, sans y mettre du cœur et des tripes. Bach se saoulait la gueule et a eu plein d’enfants, c’est bien la preuve qu’il était humain et aimait la vie.
Vous allez reprendre La flûte enchantée, cette année. N’est-ce pas le plus bel opéra de l’histoire ?
Euh, jusqu’au deuxième acte…
Surtout à partir du deuxième acte !
Si vous aimez l’ésotérisme (rires)… Pour moi c’est une œuvre très gluckienne, elle a un côté apollinien et mystique, cherche à toucher une fibre extrêmement sensible, donc je la dirige comme du Gluck…
Vous avez révélé Patricia Petibon dans l’Armida Abbandonata de Jommelli, Juan Diego Florez dans Mithridate, Laura Polverelli, ça vous plait de découvrir des jeunes chanteurs ?
Oui même si certains préfèrent l’oublier (rires). Là on vient d’enregistrer le premier disque de Marina Viotti, la fille du fameux chef d’orchestre. C’est un hommage à Pauline Viardot avec du Rossini et du Bellini. C’est vraiment une mezzo magnifique qui est en train de monter en flèche.
Revenons à Iphigénie en Tauride dont vous allez diriger la production signée Robert Carsen pour l’Opéra de Chicago, reprise à San Francisco, Londres, ainsi qu’au Théâtre des Champs-Elysées. Je réalise que vous êtes l’un des très rares chefs à n’avoir jamais pesté publiquement contre les metteurs en scène « modernes » …
C’est vrai. Que dire ? J’ai adoré les Monteverdi et Le Messie de Haendel que j’ai faits avec Claus Guth, la Médée de Cherubini avec Warlikowski, qui fut applaudie à Bruxelles et huée au Théâtre des Champs-Elysées, allez savoir pourquoi, la douzaine de productions que j’ai faites avec Pierre Audi…C’est ainsi, les metteurs en scène ont souvent des lectures originales des œuvres et je trouve que dialoguer avec eux est toujours enrichissant.
Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck, direction musicale Christophe Rousset, mise en scène Robert Carsen, à l’Opéra de Rouen Normandie, jusqu’au 1er mars.
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