Il Nerone nous offre une relecture simple et vivifiante de l’immense opéra de Monteverdi, Le Couronnement de Poppée, à l’Athénée. Les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra national de Paris s’y révèlent.
C’est l’opéra de l’implacable désir. Si nous avons souvent vu Néron terrible, Racine en a livré sans doute la plus belle illustration dans Britannicus, nous nous souvenons grâce à Monteverdi que le tyran a pu aussi être amoureux. L’irrésistible Poppée, aidée par Amour, réussit à dompter Néron, et à s’en faire épouser. Au prix de la mort de Sénèque, de la répudiation et de l’exil de la première épouse, Octavie. L’amour ne connaît de loi que son propre triomphe, et de moral, que l’assouvissement du plaisir. Ainsi de ce Couronnement de Poppée, tragicomédie lyrique signée Monteverdi qui touchait là à son sommet, donnée pour la première fois à Paris en 1646, quelques années après la mort du compositeur. Depuis, cet ultime opéra de celui que l’on aime présenter comme l’inventeur de l’art lyrique moderne, a connu un destin fastueux, que ce soit sous la baguette de Nikolaus Harnoncourt dans les années 80, ou, il y a quelques années dans une mise en scène de Bob Wilson à l’Opéra de Paris, jusqu’au prochain festival d’Aix-en-Provence, qui présentera L’Incoronazi one di Poppea, sous la baguette de l’incontournable Leonardo Garcia Alarcon, et dans une mise en scène du jeune et très attendu Ted Huffman. Et ce, alors même que la partition originale du Couronnement a disparu, et qu’il fallut attendre 1913, pour qu’une version « adaptée », permette de le remonter. À bien des égards, cet opéra est une œuvre imaginaire, le fantôme de ce qui aurait été. Voilà pourquoi sans doute il éveille tant de curiosité chez les maîtres du baroque d’aujourd’hui, de Christophe Rousset, qui l’a monté au TCE récemment, à Vincent Dumestre, aujourd’hui dans la fosse de l’Athénée avec son Poème Harmonique. Dans cette création, le pari était donc simple : en adoptant la version parisienne, retrouver la vigueur et la simplicité de ce que fut le premier Couronnement donné à Paris, dans une petite salle, sans grands décors, ni fastueuse scénographie. L’orchestre de cordes sur instruments anciens du Poème Harmonique, réduit à une forme d’orchestre de chambre, permet cette épure. Le résultat en est frappant : un Couronnement singulièrement rajeuni.
Voilà aussi pourquoi les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris semblent s’offrir une telle liberté d’interprétation, une telle souplesse de chant et de jeu, sur la scène de l’Athénée. Et quelques soient leurs différences de virtuosité vocale, rarement, on a vu des chanteurs prendre un tel plaisir à être sur scène, à jouer et chanter, face à un public. Rarement, l’on a pu sentir une telle complicité prévaloir entre les interprètes. L’ouverture, apparition des trois grâces, Fortune, Vertu et Amour, habillées en clubbeuses, devant un rideau doré, donne le ton : nous sommes dans le rêve d’une jeunesse joueuse, sensuelle, qui porte l’ensemble du spectacle. C’est là la délicatesse d’Alain Françon de parier sur ces jeunes interprètes, bien plus que sur la sophistication d’une mise en scène, pour faire vivre la vigueur, les nuances, de la musique de Monteverdi.
Et c’est un succès pour les jeunes chanteurs de l’Académie. On notera la présence scénique de Sénèque, basse portée par l’espagnol Alejandro Balinas Vieites, tout en gravité terrienne, l’aisance burlesque de Lise Nougier, Ksenia Proshina, Marina Russomano,, tour à tour déesse, nourrice, ou majordome, qui excellent à changer de rôle et de tons tout au long des trois heures de l’opéra.
Mais c’est sur le couple Néron/ Poppée, qu’il faudrait s’attarder. Choix riche d’un contraste entre le contre-ténor Fernando Escalona et la mezzo-soprano Marine Chagnon. Leurs duos du début à la fin sont les plus beaux moments de l’opéra. Non seulement, par la voix d’Escalona qui maîtrise ses modulations avec une facilité déconcertante, mais aussi par l’assurance sensuelle de Marine Chagnon. Et puis il y a leur jeu, toujours dans le registre semi-burlesque, Escalona campant un Néron dandy et grotesque, et Chagnon, une Poppée vamp et double, qui leur permet de feindre le marivaudage, mais d’avouer à tout instant, leurs ambitions communes. Ces deux-là sont assoiffés de pouvoir et forment un duo moins Roméo et Juliette, qu’apprentis Macbeth, qui fonctionne à merveille. Bref, le public était ravi, et nous aussi, de partager la joie de ces jeunes chanteurs.
À voir à l’Athénée jusqu’au 12 mars. Puis à l’Opéra de Dijon, du 20 au 26 mars et à Amiens, le 1er avril.