Avec son nouveau documentaire Funambules, Ilan Klipper regarde avec tendresse des quotidiens fragiles et solitaires, bercés par la musique d’une folie douce. En salles mercredi 16 mars.
Vous aviez déjà documenté le milieu de la psychiatrie dans Sainte-Anne. Ici, vous semblez vous intéresser à l’écart entre des expériences intimes et leur saisissement par le monde extérieur.
La folie et la psychiatrie restent des notions abstraites pour la plupart des gens. On voit des films, des documentaires, des faits divers qui nous donnent une image des fous pleine de fantasmes. Au point d’en avoir peur. L’idée de ce projet, c’était de nous approcher des patients, qui sont inoffensifs, afin de permettre aux gens d’en avoir moins peur et aux malades d’être moins stigmatisés.
Funambules est projeté avec votre court-métrage Juke-box,où vous mettez en scène le chanteur Christophe. Les deux films partagent une même approche de la musicalité, au sens où vous cherchez la musique intérieure de chaque personne, de chaque personnage.
Sainte-Anne était un film institutionnel et froid, dans la veine du cinéma direct. Je n’intervenais pas et filmais la vie quotidienne du lieu, sa gestion. Cette expérience m’a donné envie de m’intéresser à qui étaient les patients, à ce qui les habitait, à ce qu’était leur univers intime. J’ai choisi de filmer des gens portés vers les arts et la musique. Il me semblait intéressant d’épouser leur quotidien et de montrer à quel point ils vivent dans un univers artistique. Par ailleurs, j’ai monté le film sur des questions de musicalité. Non pas comme un documentaire classique, où l’on suivrait un propos et une narration, avec du suspens, mais en essayant de montrer le chant intérieur qui habite les personnages, les hallucinations et les voix intérieures qui font leur quotidien.
Pour restituer fidèlement ce quotidien, cette expérience intime, forcément en décalage avec le monde, vous vous servez de la fiction et de la mythologie.
Absolument. Je ne voulais pas être en observation. L’idée était de partager une expérience de création commune avec les malades et de mettre en scène leur intériorité. Chacun me racontait ses problèmes, ses obsessions, les idées qu’il ou elle avait en tête. Parfois, ils sont même acteurs de leur propre vie. Aube, qui vit toujours chez ses parents, me parlait souvent de son envie de s’émanciper, de son désir de rencontrer un punk et de partir avec lui. Nous avons donc décidé ensemble de mettre en scène son départ vers l’aventure dans le film.
Comment avez-vous rencontré les personnes que vous filmez dans Funambules, avec ce mélange de pudeur et d’empathie ?
Je suis allé quelques semaines dans un hôpital psychiatrique à Bondy, sans filmer, pour y faire un casting des patients, sans idée claire de ce que je cherchais. Ce que j’aime beaucoup chez les gens malades, c’est lorsque dans leur logorrhée, au milieu d’un délire, une grande vérité jaillit et parle de nous. J’avais envie de permettre au spectateur d’entrer en relation avec eux, d’entendre leur manière de s’exprimer, de rencontrer leurs proches, d’être confronté à la fois à leur univers esthétique et à leurs problématiques sociétales. J’ai toujours eu une forme de tendresse pour ces personnes malades, à qui tout le monde tourne le dos et qui vous accueille pourtant à bras ouverts. Il fallait rendre compte de cette chaleur humaine.
Ilan Klipper, Funambules, avec Frank Williams, Potemkine, sortie le 16 mars
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