Il n’aime pas être présenté comme un metteur en scène. Pourtant, c’est bien au théâtre, sur la scène des Célestins, que l’acteur Laurent Ziserman, « adopte » À nos amours de Maurice Pialat, qui devient ANA. Rencontre.
Qu’est-ce-qui vous a donné envie d’adapter Pialat au théâtre ?
Le cinéma est vital pour moi. Je viens de la campagne, la télé jouait un rôle très important dans ma jeunesse. Je regardais assidûment les films avec Depardieu, Dewaere ou Gabin. Quand j’ai commencé à aller au cinéma, j’ai découvert Pialat et adoré ses films. Ils ont accompagné ma vie. Quelque chose s’est cristallisée autour d’À nos amours. Et je trouvais que c’était une matière géniale pour le théâtre. En arrivant à Lyon en 2015, j’ai rencontré Magali Bonat, Savannah Rol, puis Benoît Martin. On a fait une lecture ensemble et notre enthousiasme collectif nous a aimantés, sans savoir où cela nous mènerait.
Votre attrait est-il plutôt scénaristique ou esthétique ?
Ni l’un ni l’autre. C’est un attrait pulsionnel. D’ailleurs, Pialat a fait quelques films sans scénarios. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai aimé son cinéma et pourquoi certains ne l’aiment pas. Il fait tout pour mettre ses acteurs dans une position d’inconfort et moi justement j’aime être déplacé. Il cherchait quelque chose ayant à voir avec le présent absolu, qui ne soit pas du jeu, sans non plus être du reportage. C’est très écrit. Il met ses acteurs dans un état de créativité très fort. Et il parle de nos blessures à tous. Ses films sont une forme d’exorcisme qui me touche profondément.
Comment faire exister sur scène les espaces (la Côte-d’Azur, la plage, Paris, le bus, etc. ) où se rend Suzanne, l’héroïne du film ?
On ne les fera pas exister. J’ai eu très tôt l’intuition de faire un huis clos. Pialat a écrit dans ses carnets que si c’était à refaire, il le tourneraitentièrement en huis clos, dans l’appartement ! Cela confortait mon intuition. Je suis acteur, et j’ai toujours pensé, le cœur vibrant de cette histoire, que tout doit se passer dans l’appartement.
Son cinéma est aussi très immersif. Comment créer cette sensation malgré l’entrave de la scène ?
Cette question est au cœur de mon désir et de mon attrait. Je souhaitais qu’on se sente très proches, comme dans ses films mais avec les outils du théâtre. C’est aussi notre responsabilité d’acteur, cela repose beaucoup sur l’engagement du jeu.
Vous confiez le rôle mythique de Suzanne à Savannah Roll…
Quand j’ai vu jouer Savannah Roll ça a fait une connexion. J’ai eu envie qu’elle lise ce rôle. Il y a une vraie rencontre entre elle et ce rôle. Elle ne ressemble pas à Sandrine Bonnaire mais le spectacle est loin du film. On part du scénario original et très autobiographique d’Arlette Langmann et d’interviews de Pialat dont on a fait les dialogues avec Marion Pélissier. J’ai aussi étoffé le rôle du frère, joué par Dominique Besnehard chez Pialat, ainsi que celui de la mère. Dans le film, le couple majeur c’est Suzanne et son père joué par Pialat, là ces quatre êtres sont très présents.
Quarante ans après la sortie du film, en quoi est-il intemporel ?
Ces éblouissements, ces irruptions de violences, l’histoire universelle d’êtres qui voudraient s’aimer et se faire du bien mais n’y arrivent pas. Son cinéma est tellement à hauteur d’âme et de cœur qu’il échappe à toute temporalité.
Ana, d’après A nos amours de Maurice Pialat, mise en scène par Laurent Ziserman, Théâtre des Célestins, du 17 au 27 mars. Théâtre le Bois de l’Aune / Aix-en-Provence, du 29 au 30 mars 2022. La Criée Théâtre National de Marseille, 5 au 7 avril 2022. Scène nationale Archipel de Thau / Sète 22 avril 2022.