Nicolas d’Estienne d’Orves, critique lyrique à Transfuge, signe un ample roman autour d’une figure énigmatique du début du cinéma, Max Toppard. Un opéra littéraire parfaitement maîtrisé.
Grand amateur d’énigmes, Nicolas d’Estienne d’Orves s’est toujours montré particulièrement doué pour détourner et s’approprier les codes du roman d’aventures. Jamais pourtant il n’avait été aussi loin que dans le présent Ce que l’on sait de Max Toppard. Un époustouflant opéra littéraire de plus de cinq cent pages que l’on dévore fiévreusement, totalement sous l’emprise de ce conteur diabolique. Il est vivement recommandé de tenter sans attendre de percer le mystère du « cas Toppard », ce fantôme à la vie chaotique. Qui donc était celui qui vit le jour à Arras à la toute fin du XIXe siècle ? Le petit garçon a grandi à Poulven, un port breton, où son ingénieur de père a été chargé d’électrifier un phare. Rien ne sera plus pareil après sa découverte de l’œuvre de Georges Méliès, le maître de « la fantaisie cinématographique ». Un Méliès qui lui paraît bien désabusé quand il lui rend visite après avoir débarqué à Paris à l’âge de quatorze ans.
Max Toppard sait très tôt qu’il est indéfectiblement lié au cinéma. Grâce à Charles Pathé, il rencontre d’abord le comique Max Linder dont il devient l’ombre. Lui qui n’est pourtant rien tant fasciné que par la lumière. A Hollywood, il sera ensuite figurant sous « l’objectif génial » de D.W. Griffith et collaborateur de Charlie Chaplin dont il devient « l’éveilleur ». Max Toppard possède un œil infaillible, il est l’homme des solutions. Toujours capable d’audaces incroyables, il ressort indemne des tranchées de la Grande Guerre. Plus tard, il prendra de plein fouet la première version du Napoléon d’Abel Gance et assistera au déclin du cinéma muet. Deviendra le conseiller occulte de Jean Renoir et d’un Jean Vigo à bout de course au moment de L’Atalante.
Max Toppard n’aurait réalisé qu’un seul film, L’illusion absolue, et se serait retrouvé seul « face à ses théories, ses intuitions, ses doutes, sa passion ». De lui, il ne reste rien au point qu’il est permis de se demander s’il a bel et bien vraiment existé. Au milieu des années 1960, une jeune journaliste pigeant pour la revue Etudes cinématographiques va se lancer sur sa piste. Caroline Ménardier est du genre coriace, dotée d’un caractère bien trempé. Ne pas compter sur elle pour renoncer quand les portes se ferment devant elle. Ses pas la conduisent rapidement au Belphégor, une salle des Halles accueillant certains jeudis un fascinant ciné-club. Caroline va devoir se familiariser avec « un univers où les données du réel sont différents, pas inversées, mais désaxées », comme lui explique un protagoniste de l’affaire…
Nicolas d’Estienne d’Orves mène son affaire tambour battant en s’autorisant tous les rebondissements et tous les coups de théâtre. Après avoir d’emblée ferré son lecteur, il le promène à travers une étrange galerie des glaces en mélangeant le vrai et le faux. Bouillonnant, Ce que l’on sait de Max Toppard est d’une lecture savoureusement vertigineuse.
Nicolas d’Estienne d’Orves, Ce que l’on sait de Max Toppard, Albin Michel, 506 pages, 21, 90 euros.