La décentralisation n’est pas un vain mot… La preuve : Montpellier qui peut prétendre au titre de capitale littéraire, à la faveur de la Comédie du Livre, dix jours en mai. Régis Penalva, son directeur littéraire, trace les grandes lignes de cette édition.
La Comédie du Livre s’étend désormais sur dix jours : qu’est-ce qui a dicté ce choix ?
Apparue tôt dans le paysage des manifestations littéraires en France, à l’époque héroïque des salons du livre qui invitaient libraires et auteurs à occuper l’espace public au cœur des villes, la Comédie du Livre a connu en 37 ans plusieurs métamorphoses. Si elle conserve son salon de libraires et ses trois jours de stands, la manifestation affirme avec plus de force encore son identité hybride, à la fois salon et festival. Ces quinze dernières années, la programmation littéraire est devenue pour le public et pour les auteurs aussi importante, et probablement même plus, que l’activité commerciale. Ce nouveau format, qui s’étend dans la durée, mais également sur le territoire, permet ainsi d’organiser un week-end entier de spectacles littéraires et d’ateliers pour la jeunesse, dans un lieu splendide, le Domaine d’O, les 14 et 15 mai. Et de déployer, du 13 au 22, une série de grandes soirées, rencontres, lectures, lectures musicales… avec des invités aussi variés que Guillaume Gallienne, Estelle-Sarah Bulle, Jean-Christophe Rufin, Nathalie Yot et la poétesse occitane Aurélia Lassaque.
L’Europe et ses littératures seront la pierre angulaire de cette édition – ce qui n’est pas sans résonances politiques actuelles… Cette Europe littéraire est-elle la fille de la « république des lettres » des humanistes ?
Ce choix s’inscrit d’abord dans une fidélité au travail d’exploration des littératures étrangères menées depuis une bonne dizaine d’années. L’idée était d’abord d’élargir le champ, et d’essayer de constituer, en quelques années, une sorte de panorama des écritures contemporaines sur le continent, de faire affleurer des lignes de convergence, des carrefours, des imaginaires communs, mais également des frontières invisibles et des différences – et de laisser s’exprimer l’extraordinaire diversité des langues. Sans aucune volonté démonstrative ou explicative. L’effroyable guerre imposée par la Russie à l’Ukraine est hélas venue donner un surcroît de pertinence à ce choix, une pertinence douloureuse dont nous nous serions toutes et tous bien passés. Je souscris absolument au rêve ancien que vous évoquez, cet idéal humaniste d’une conversation par-delà les frontières et les langues, qui aboutirait à la constitution d’une communauté.
Pouvez-vous nous dire comment s’est effectuée la sélection des auteurs européens ? À titre personnel, y a-t-il une littérature européenne qui vous tient particulièrement à cœur ?
Sans méthode particulière, mais au gré des lectures effectuées lors des deux rentrées littéraires de septembre et janvier. À l’arrivée, je suis frappé par la présence constante de l’Histoire, dans bon nombre de textes, l’Histoire et son cortège de fantômes, de secrets enfouis, de traumatismes, chez un Sjón venu d’Islande, chez le Belge néerlandophone Stefan Hertmans, l’Espagnol Víctor del Árbol, ou la romancière allemande Zsuzsa Bánk… Chez beaucoup d’auteurs, il y a cette manière si particulière à notre époque d’entrelacer le très intime au très universel, que l’on retrouve dans le beau livre de l’écrivain bosniaque Semezdin Mehmedinović, par exemple. Autre trait marquant cette année, la défense et illustration de la littérature populaire, dont un Javier Cercas (qui dialoguera avec Éric Vuillard) s’est récemment fait le porte-parole, mais dont Rosa Montero, Maren Uthaug ou Jón Kalman Stefánsson, de manières sensiblement différentes, pourrait également se réclamer. Difficile enfin d’élire telle littérature plutôt qu’une autre, mais ces dernières années m’auront amené à découvrir avec infiniment de plaisir les littératures néerlandophones et suisses.
Autre facette de la Comédie, les maisons d’édition : Liana Levi, Anacharsis et 6 Pieds sous terre seront sous les feux du festival…
Il s’agit avant tout de fidélité à des maisons d’édition qui ont toujours été très présentes à la Comédie du Livre, dix jours en mai. Et qui ont toutes un anniversaire. 6 Pieds sous terre est née il y a 30 ans à Montpellier et y est toujours installée. Fabcaro, pour ne parler que de lui, est une figure familière du salon. Il dialoguera cette année avec la romancière Julia Deck.
Avec Liana Levi, qui fête ses 40 ans, le compagnonnage est ancien, et l’éditrice elle-même était déjà présente en 2016, à l’occasion d’une édition dédiée aux auteurs italiens.
Enfin, Anacharsis poursuit depuis 20 ans une très ambitieuse aventure éditoriale en terre occitane, avec son catalogue ouvert sur l’altérité et l’ailleurs, qu’ils soient culturels, historiques, temporels, spatiaux…
La Comédie du Livre n’a pas usurpé son nom, ménageant, comme au théâtre, des moments intenses… Pourriez-vous en citer quelques-uns ?
Je crois que nous serons toutes et tous très émus de pouvoir écouter à nouveau à Montpellier l’écrivain ukrainien russophone Andreï Kourkov le dimanche après-midi. Et puis j’attends également avec impatience les différentes propositions de Mohamed Mbougar Sarr, carte blanche cette année, avec, entre autres, des discussions en compagnie de Lydie Salvayre et Jakuta Alikavazovic.
La Comédie du Livre, dix jours en mai, Montpellier, du 13 au 22 mai