Le compositeur français Thierry Escaich présente son dernier ouvrage lyrique, écrit par Atiq Rahimi, d’après un poème persan du XIIesiècle. Commande de l’Opéra de Lyon, où il sera dévoilé, c’est l’un des évènements les plus attendus de l’année.
Retrouvez l’intégralité de l’interview dans notre numéro de mai.
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Vous ne venez pas d’un milieu musical…
Mon père gendarme et ma mère institutrice n’écoutaient effectivement pas de classique et c’est à l’église que j’ai commencé à jouer et à improviser en autodidacte : dès que l’office était fini, je me ruais sur l’harmonium, puis le curé m’a proposé de jouer pendant la messe. Parallèlement, j’ai appris l’accordéon musette, vers six ans, avec un professeur particulier. Jouant déjà professionnellement dans les bals populaires, je suis entré directement en quatrième année au Conservatoire de Rosny-sous-Bois.
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C’est Serge Nigg qui vous a inculqué la passion de l’orchestre ?
Oui, Il pouvait faire entendre, au piano, les doublures et les dispositions d’orchestre, qu’il décompose une œuvre de Brahms, de Ravel ou de Berg. Après avoir fondé le Domaine Musical avec Boulez, il était devenu communiste, très lié au Kremlin, donc farouchement opposé à l’idée d’avant-garde. Il avait été formé par des élèves de Dukas, et j’ai essayé à mon tour d’enseigner la flamboyance de l’orchestration française mais également une certaine liberté dans la création. Comment construire une fugue très structurée qui sonne, pour l’auditeur, comme une danse ou un mouvement concertant ? Le projet poétique doit toujours prendre le dessus sur l’artisanat, sinon c’est de l’académisme. Moi, je fuis tous les codes depuis l’enfance, j’improvise beaucoup dans mon cours, je pars de Bach mais ça devient ma propre musique, je navigue d’un monde à l’autre, sans barrières de styles ou d’époques.
Vos dernières compositions sont moins anguleuses, plus souples à tout point de vue…
A mes débuts, les postsériels étaient encore au pouvoir. Aujourd’hui, je peux revenir aux bases de la musique, reprendre les harmonies de Ravel, de Messiaen et de Duruflé et les transformer de façon plus subtile, pour créer de nouvelles pistes, trouver de nouvelles voies, laisser tous les éléments s’épouser naturellement, m’autoriser plus de régularité dans les rythmes, sans chercher à réorganiser le discours, ou renouveler la grammaire. Les opéras m’ont également conduit à sortir d’un temps strié et anxieux pour rechercher des plages plus longues et un temps plus étiré.
Vous voulez dire que Shirine va sonner comme du Dalbavie ?
Non, bien sûr. J’ai été plutôt influencé par les films muets que j’ai accompagnés. Métropolis de Fritz Lang oblige à trouver un rythme qui correspond à l’écriture cinématographique, à inventer des effets musicaux auxquels on n’aurait pas songé. En composant Shirine, j’ai pensé à L’inconnu de Tod Browning, au monde du cirque avec ses personnages monstrueux. Récemment, j’ai découvert les poésies animistes des indiens Navajos, et j’en ai tiré une pièce pour chœur d’enfants et orchestre, créée à Radio-France. Ça m’a permis de trouver une certaine luminosité harmonique, un type d’instrumentation différent. Après Claude, mon premier opéra qui se passait dans un univers carcéral, Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon, m’a proposé de rencontrer Atiq Rahimi. Au début, j’étais sceptique. Si la Chine ancienne me fascine depuis l’enfance, je ne connaissais rien au monde perse et afghan. Mais quand Atiq m’a expliqué que cette légende était connue de tous en Iran, un équivalent de Roméo et Juliette, je me suis dit qu’on pourrait en tirer un opéra. On a travaillé pendant deux ans, avec lui et avec le metteur en scène Richard Brunel, à élaguer des personnages, à en développer d’autres, à centrer l’opéra sur celui de Shirine, courtisée par quatre hommes différents, sur fond de guerre. On n’est pas loin de la tragédie grecque avec cette héroïne qui dit non, ce conseiller du prince qui essaie de manipuler les autres personnages dont Farad qui sculpte le visage de Shirine, dans la montagne, pour la séduire.
Ce sera une féerie ?
J’utilise des instruments traditionnels comme le ney, le duduk, le kanoun ou le sitar, mêlés à l’orchestre, des mélodies persanes recomposées, des couleurs chatoyantes, mais Shirine reste une œuvre dramatique située dans un temps indéterminé. J’ai ajouté des personnages de conteurs car je trouve les récits chronologiques ennuyeux, j’ai besoin de niveaux de lectures multiples et de flash-backs.
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Shirine de Thierry Escaich. Du 2 au 12/05 à l’opéra de Lyon. www.opera-lyon.com