Ouverture de Chantiers d’Europe 22, festival du Théâtre de la Ville qui accueille de passionnantes compagnies européennes jusqu’en juin, Cloud de la franco-suisse Perrine Valli aborde de front le thème du festival : la jeunesse.
Par Oriane Jeancourt Galignani
Emmanuel Demarcy-Mota l’affirme depuis plusieurs années : la portée politique du théâtre doit être dédiée à la jeunesse. Nul hasard donc que le directeur du Théâtre de la Ville ait choisi en ouverture de Chantiers d’Europe un spectacle chorégraphique comme Cloud. Ce sont des enfants qui occupent la scène tout au long de la représentation. Non pas de jeunes professionnels aguerris à la danse, mais des amateurs, d’une dizaine d’années, recrutés dans chaque ville, quelques jours avant la première. Ces enfants apparaissent comme une armée des ombres, dans l’obscurité d’une scène vide, habillés de noir, ils ne sont repérables qu’à leurs casques illuminés de bleu. Obéissant aux ordres de Perrine Valli murmurés dans leurs casques, ils enchaînent gestes brusques et nerveux, sur une musique électronique aux accords simples. L’effet de cette troupe robotique est saisissant : ils sont des enfants, et des machines. Difficile de ne pas penser à Olympia, l’automate des Contes d’Hoffmann, aussi troublante qu’inquiétante. Mais ici, la chorégraphe ne cherche pas à nous inviter dans un monde fantastique, mais à aborder une réalité contemporaine : la part virtuelle de la vie de la jeunesse d’aujourd’hui, livrée aux écrans de téléphones, et aux avatars de jeux vidéo. Perrine Valli nous a d’ailleurs confié dans un entretien du Transfuge du mois de mai, qu’elle s’était inspirée du jeu Fortnite pour un certain nombre de scènes, notamment celle qui voit les enfants se tirer dessus et tomber raides morts. Seul le clignotement bleu de leurs casques nous annonce que le spectacle se poursuivra. Il y a du jeu dans ce spectacle, mais aussi une inquiétude qui rôde, celle de la possible violence de ces enfants. Ainsi, une des danseuses professionnelles tente à un moment d’affronter le collectif d’enfants, qui la rejette, avec la brutalité robotique qui les caractérise. Nul hasard donc que Perrine Valli cite souvent Truffaut ; comme le réalisateur des 400 Coups, elle a l’art de prendre l’enfance au sérieux, dans sa vulnérabilité, comme dans sa violence. C’est la qualité du spectacle.
Mais Cloud ne se résume pas à ces scènes d’enfants dansants : l’irruption de l’acrobate Nhât-Nam Lê à mi-temps, glissant d’une barre centrale, offre la part poétique dont le spectacle manquait jusque-là. La musique cède au corps du danseur, les enfants se calment et l’entourent, il peut offrir sa leçon de virtuosité. Comme pour nous rappeler, le temps d’un bref enchantement, qu’aucun jeu vidéo n’atteindra la grâce d’un homme qui danse. « L’avenir sera magnifique », promet une jeune fille à la fin du spectacle, interprétant les mots de Fabrique Melquiot dont on ne sait s’ils sont une promesse ou une incantation.
Cloud, Perrine Valli, dans le cadre de Chantiers d’Europe, Théâtre des Abbesses, jusqu’au 8 mai. Plus d’infos sur www.theatredelaville-paris.com