Où l’on découvre chez Perrotin la jeune Xiyao Wang, coloriste particulièrement douée…
Des masses abondantes, harmonieuses, à la fluidité lactée, où monte une roseur pâle, comme sourd un souvenir du sang sous la délicatesse du derme. Des masses qui ont moins l’arrêt d’un contour qu’elles ne s’enveloppent, se fondent dans d’autres modulations de cette clarté dont les pâleurs, les attiédissements, les réchauffements, composent, dans leurs incessants passages réciproques, un poème de l’impalpable : tels sont les fonds et la substance de la peinture de la jeune Xiyao Wang (née en 1992). « Poème », « impalpable » : la langue, à courir le risque du diffus est menacée par l’à-peu-près du lyrisme atmosphérique et ses ennuagements d’imprécision.
C’est entendu, la peintre chinoise, établie à Berlin, affronte cet évanescent fantôme qui tourmente d’insomnie les coloristes de pure race, dont elle est déjà, telle une Megan Rooney chez qui les tons se pacifieraient avec plus d’empressement. Ce qui ne veut pas dire que, chez Xiyao Wang, la quête de l’atmosphère, puisque tel est le redoutable adversaire que sa peinture se donne à tâche, ait la complaisance émolliente d’un effet d’embrumement plaqué pour faire on ne sait trop quoi : faire « poétique », « rêveur », etc. Sa lumière est intime à l’œuvre : elle advient à la surface par affleurement, comme issue de la source d’un arrière-tableau, et c’est en nappe qu’elle paraît s’épandre au revers de la membrane translucide de la toile.
A cet effet de remontée depuis le puits d’une profondeur du tableau ne contribue pas peu à la constitution de premiers plans marqués par des applications volontaires de lambeaux colorés – des lignes de coloriste, qui répugnent à l’austérité de la droite euclidienne, se courbent, s’entortillent, sinuent et surtout font éclater leurs chromatismes. Rien d’étonnant si on évoque Cy Twombly à propos de Xiyao Wang, mais il y aussi la détermination bouillonnante de la touche de Martha Jungwirth. Embrasements ponctuels de jaune ici, comme des explosions soufrées crevant la quiétude du fluide aérien ; sabrages de bleu là ; solidification éphémère, en une agglomération bigarrée, des teintes ailleurs. Et le tout éphémère, car toujours en instance de dissolution, à moins qu’il ne s’agisse du contraire, que les brins colorés tendent, obéissant à on ne sait quelle attraction, à se réunir.
Et c’est ainsi que Xiyao Wang répond à mes angoisses de critique confronté à la description d’une peinture « atmosphérique » et à la frustration du spectateur, ne laissant qu’un brouillard dans la mémoire une fois qu’on s’est éloigné du tableau. Sténographie sensorielle, mémento vif corroborant le postulat baudelairien (« l’art est une mnémotechnie du beau ») : les filaments et les pelotes colorées fixent, par l’insistance de leur polychromie, le souvenir de l’impalpable.
Expo Xiyao Wang, The Crystalline Moon Palace, Galerie Perrotin, du 9 juin au 30 juillet