Riche, révélatrice, pleine de superbes morceaux de peinture : une expo comme un précieux écrin pour les Héroïnes romantiques.
Delacroix, Chassériau, Gros, mais aussi Frédérique O’Connell, Henri Decaisne… Dans cette exposition où les noms gravés au panthéon de l’histoire de l’art figurent aux côtés de patronymes à demi effacés par la postérité, chaque œuvre avive et prolonge une longue caresse voluptueuse, surexcitant, sous la paupière, l’organe de la jouissance artiste du visiteur. Ce sont des lignes onctueusement obombrées, des contours suavement incurvés, tels le bras et le sein de l’Ophélie de Léopold Burthe, la belle assoupie amphibie. Ce sont les gradations frottées de lumière des tons de blancheur, les contrastes aussi. Tels les doigts agrippeurs, à la peau briquetée, que referme le père Aubry sur l’étoffe sans tache qui ceint Atala, sur ce tableau de Girodet qui porte son nom. Là, les fameuses Funérailles d’Atala, du même, comme filtrées, décantées, sont concentrées dans le seul visage féminin, le reste de la scène ne subsistant que sous les espèces de fragments allusifs. Baudelaire mettait Girodet au nombre de ceux qui surent « ramener le caractère français vers le goût de l’héroïsme », et l’exposition est tout entière dévolue à l’héroïsme, sous sa double acception romantique et féminine.
Comme accourues de tous les horizons où pouvait se porter l’œil des peintres, enfantées par la fantaisie du roman ou sorties des annales de la sévère Histoire, à moins qu’elles ne foulassent les planches et s’envolassent dans les ballets, Sapho, Jeanne d’Arc, la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, Desdémone, ou encore Fanny Elssler, dont les pas de danse ont battu comme le sang aux tempes des spectateurs de l’époque, même la mythique Médée – toutes, ici, s’incarnent et se réincarnent dans un miroitement de modelés, de luisances modulées, dans une fête de faires variés.
D’où vient, alors, que grince, dans un coin du cerveau un rire satanique et que s’empreint, fugitivement, sur la physionomie des visiteurs un caractère mauvais, sadique ? C’est que, rappelle, sous la plume d’Alain Vaillant, le catalogue, qui allie avec bonheur tous les registres d’analyse, le XIXe siècle a la triste distinction d’avoir été « le siècle le plus misogyne de l’époque moderne ». D’où, soulignent à l’envi les contributeurs, la tyrannie d’une conception de la femme dont l’essence serait le sacrifice, les manifestations le drame.
En cela, l’exposition, au-delà du cas de l’héroïne, est symptomatique d’une des grandes ambitions esthétiques du XIXe, ainsi résumée, encore, par Baudelaire : « protester contre [la nature] ». Dénégation plus ou moins violente, qu’elle s’énonce au travers de constructions anthropologiques et sociales factices – la femme « par nature » passive –, ou qu’elle s’apprécie à l’aune des peintures mêmes du musée de la Vie romantique. Là, ce sont comme des pâmoisons ou des inconsciences mystiques, absorbées par des visions d’arrière-mondes ; ailleurs, c’est la sculpturalité figée d’une pose, le jeu rigoureux des clartés et des obscurités – tout ce qui donne congé à la simplicité sans apprêts de la nature.
Exposition Héroïnes romantiques, Musée de la Vie romantique, jusqu’au 4 septembre
Catalogue : Héroïnes romantiques, sous la direction de Gaëlle Rio et Élodie Kuhn, Éditions paris Musées, 144 p., 29, 90€