Malgré la prise de rôle courageuse d’Elsa Dreisig et un Orchestre de Paris somptueux, la nouvelle production du chef-d’œuvre de Richard Strauss, mise en scène par Andrea Breth, au festival d’Aix-en-Provence, déçoit.
C’est l’un des opéras les plus célèbres du vingtième siècle. Pour les musiciens qui, lorsqu’ils tombent sur la partition, hallucinent de tant d’intelligence expressive et de raffinement orchestral. Et pour les mélomanes qui connaissent tous la fameuse Danse des sept voiles qu’exécute l’héroïne avant le terrible dénouement de l’opéra : la décapitation de Jochanaan, alias Jean-Baptiste pour les français. Reste que les occasions d’entendre l’ouvrage, longtemps considéré comme sulfureux, ne sont pas si fréquentes ; ce qui explique que l’on se réjouissait d’en découvrir une nouvelle production, cette année, au Festival d’Aix-en-Provence. Le choix d’Elsa Dreisig, annoncée dans le rôle-titre, était contestable. Sans même parler du fait que son Mozart manque cruellement d’élégance à notre goût, ce rôle éminemment dramatique, marqué par l’interprétation qu’en a donnée Birgit Nilsson, était bien trop lourd et tendu pour la jolie soprano franco-danoise. À la décharge de la metteuse en scène Andrea Breth, qui a tenu à ce choix, il est vrai que sa silhouette menue et sa jeunesse correspondent mieux à l’image que l’on se fait de l’héroïne de la pièce d’Oscar Wilde, écrite en français, d’après Hérodias —l’un des Trois Contes de Gustave Flaubert inspiré par cet épisode biblique—, avant d’être traduite en anglais et en allemand, puis représentée à Berlin, en 1902, dans une mise en scène de Max Reinhardt.
La folie morbide d’une adolescente
Dès les premières mesures de ce cyclone musical en un acte, tendu comme un arc, l’Orchestre de Paris, dirigé par l’excellent Ingo Metzmacher, éblouit de précision rythmique et de couleurs ciselées. Ce que l’on voit sur le plateau est, en revanche, beaucoup plus terne, plat et étriqué. Qu’Andrea Breth dédaigne l’orientalisme et circonscrive le symbolisme expressionniste à la seule Lune jetant une lumière blafarde et ténue sur son décor de plaques tectoniques, passe encore. Qu’elle nous prive de la Danse des sept voiles — par féminisme ? —, refuse de montrer la tête décapitée de Jochanaan —par détestation de la violence ? — on peut également le concevoir. Mais qu’elle concentre l’action sur quelques mètres carrés —le pire étant la dernière scène montrant Salomé dans une cellule de carrelage blanc comme dans un asile psychiatrique— et ne sache quoi faire du plateau du Grand Théâtre de Provence est, en revanche, inexcusable. Surtout lorsque l’on a en mémoire le Doktor Faust de Busoni, monté par le visionnaire Peter Mussbach, en 1999, à Salzbourg, sa manière de contrecarrer le gigantisme du cadre de scène panoramique en créant de la profondeur de champ et en multipliant les images puissantes : rails, échappés du Stalker de Tarkovski, arpentés par des chariots en flammes ; voyage interstellaire des protagonistes, digne du 2001 de Kubrick ; disparition du héros dans un paysage neigeux, baigné d’une lumière d’eau-forte et encadré de ventilateurs géants.
Heureusement, la distribution vocale est solide et fait oublier la misère de ce que l’on voit, du ténor John Daszak, en Herodes, tétrarque de Galilée et père transi de Salomé, à son épouse, l’Herodias cruelle et cinglante d’Angela Denoke, que l’on a souvent entendue dans le rôle-titre, sans oublier le Jochanaan bien articulé et timbré de Gabor Bretz : de vraies voix héroïques, corsées, projetées avec la puissance requise par l’ouvrage. Qu’Elsa Dreisig paraisse sous-dimensionnée, dans ce contexte, et ne crève pas le mur de l’orchestre, comme un laser, est une litote. Elle n’en assume pas moins courageusement le rôle, la folie morbide de cette adolescente infatuée du prophète juif incarcéré par son père, prête à tout pour pouvoir embrasser ses lèvres, et compense ses limites vocales par un engagement physique et une stylisation de son chant qui forcent l’admiration. En quittant le Grand Théâtre de Provence, on se console en se disant que ce spectacle décevant aura au moins eu pour mérite de nous montrer la soprano sous un nouveau jour. Celui d’une artiste capable de se dépasser et que l’on aimerait réentendre, à l’avenir, dans d’autres rôles mozartiens et straussiens auxquels son timbre argenté la prédispose.
Salomé. Drame en un acte de Richard Strauss. Orchestre de Paris Dir. Ingo Metzmacher Msc. Andrea Breth. Les 12, 16 et 19 juillet au Festival d’Aix-en-Provence. (Diffusion en direct, le 12 juillet à 20h sur France Musique)