Singulier, dérangeant, virtuose, One Song de Miet Warlop nous mène loin dans la réflexion sur le théâtre.
Ils sont prêts à se lancer dans l’arène du grand spectacle. Habillés en sportifs, nos cinq musiciens vont bientôt prendre place pour offrir une cinquantaine de fois, si ce n’est plus, la même chanson. Au coup de sifflet, la violoniste grimpe sur la poutre, le chanteur sur le tapis roulant, le pianiste s’agrippe aux barres, et, surtout, le métronome est enclenché. Cœur secret de l’ensemble du spectacle, ce métronome, humblement protégé par une cloche de verre, va donner le la de la folle course, l’éternelle répétition du même, de ce spectacle.
Performance aussi physique que spectaculaire, One song de la flamande Miet Warlop s’impose comme le spectacle le plus détonnant du festival.
Nous savions la metteure en scène et performeuse adepte de l’inclassable. C’est ainsi d’ailleurs qu’elle s’est forgé un nom dans le théâtre, en refusant les conventions habituelles, et se frayant un chemin entre les arts plastiques, la performance, et le théâtre. Mais ce One Song dépasse sa propre singularité, car au fur et à mesure de ce spectacle, au début duquel nous prenons plaisir, spectateurs confortablement installés dans la cour du Lycée St Joseph, un profond malaise s’installe qui nous rive à la scène, tout en nous faisant implorer silencieusement que le spectacle cesse. Non qu’il s’agisse du bruit de plus en plus assourdissant au gré des coups donnés sur la batterie par les acteurs, ni même de la dégradation physique des acteurs, suant, ahanant, trébuchant pour accomplir les mêmes gestes, mais la répétition même nous met profondément mal à l’aise. Cette unique chanson inlassablement jouée, pour nous, spectateurs, nous met en accusation. Difficile de ne pas penser au film de Sydney Pollack, On achève bien les chevaux, construit sur le même principe d’une danse qui se répète à l’infini, jusqu’à ce que les interprètes tombent de fatigue, mais prêts à tout pour quelques dollars. Seulement, ici, Miet Warlop n’expose pas les motivations des acteurs. Et l’on soupçonne, au fil du spectacle, qu’ils agissent ainsi pour nous. Là commencent les questions les plus dérangeantes du spectacle : sommes-nous ces veaux qui ne cherchent sans cesse qu’à voir le même spectacle ? Sommes-nous ces amateurs de sacrifices, lointains héritiers des spectateurs de gladiateurs, qui viennent pour voir des corps d’hommes et de femmes suer, jusqu’à l’épuisement ? Le spectacle est-il par essence un jeu cruel, bestial, dont nous serions les premiers destinataires, et peut-être les secrets commanditaires ? Le théâtre de Miet Warlop, inscrit dans le cycle si justement intitulé par Milo Rau, Histoire (s) du théâtre, touche avec puissance, à la conscience spectatrice.
One Song, Miet Warlop, Lycée St Joseph, Festival d’Avignon, jusqu’au 14 juillet.
Les 20 et 21 sept. 2022 au Festival actoral, Marseille
Les 28 et 29 sept. 2022 au Tandem Douai-Arras
Puis en tournée en Belgique, aux Pays-Bas, en France, en Espagne…