Au Théâtre du Châtelet, le metteur en scène Olivier Fredj ouvre la saison avec Watch, œuvre théâtrale et musicale qui prend le pouls du monde à travers les lieux de réclusion. Rencontre en toute liberté.
Comment est né Watch ?
En 2019, l’Orchestre de chambre de Paris m’a appelé pour mener un projet de théâtre musical en prison. Au début, j’ai hésité. L’idée n’étant évidemment pas d’apporter la « Culture », de faire entrer les dorures des théâtres dans des lieux qui en sont dépourvus. Mon métier, c’est de faire des pièces, de mettre en scène des artistes. J’ai donc commencé à imaginer quelle pièce je pouvais créer qui nécessite d’être écrite et interprétée par des détenus, comment les intéresser à cet art. J’ai donc cherché ce qui, dans leur culture personnelle et dans leur expérience et condition de vie, pouvait être pertinent de partager avec un public. Etonnamment, c’est la question du temps qui est revenu. Face à la course de la performance qui a envahi nos sociétés, ceux qui sont arrêtés ont une vision qui peut éclairer ceux qui ne cessent jamais. Travaillant en parallèle avec les soins palliatifs de la Pitié-Salpêtrière, le Samu social, une classe de CE1et deux EHPAD, j’ai eu l’envie de confronter les points de vue, de les interroger lors d’ateliers d’écritures croisés sur la manière dont ils abordaient la notion de temps, la manière de l’appréhender. Ce qui m’intéressait c’était avec une certaine ironie de retourner la question et de voir comment il était possible d’aider ces pauvres hères à ralentir la trépidante frénésie de leur vie.
Comment fait-on théâtre avec cela ?
J’ai demandé à chacun d’écrire un texte sur leur ressenti, leur regard sur le monde. De cette matière première récupérée lors d’atelier, j’ai esquissé une trame que nous avons travaillée ensemble. Il y a eu un vrai travail d’adaptation qui a été fait, mais en concertation avec les détenus ainsi qu’avec les auteurs de tous les autres ateliers. L’objectif était de construire ensemble quelque chose de théâtral, de faire spectacle, d’entremêler texte et musique. Très vite, s’est imposé à moi, ainsi qu’à Shani Diluka, le pianiste et coordinatrice musicale, Le Voyage d’hiver de Schubert. C’était à notre sens la partition qui correspondait le mieux à ce que m’inspiraient les textes, à ce que je souhaitais impulser. Il y a dans les mouvements la perte de temporalité, le basculement, les épreuves, les éclaircies. En enlevant les textes de Müller, en les remplaçant, en donnant une autre densité à la partition, lui offrant une autre perspective plus contemporaine, je trouvais qu’on donnait un sens aux rencontres nées au cœur du domaine carcéral. S’inspirant de ce que les détenus ont partagé avec nous, notamment, une revisite gitane de la musique de Schubert, petit à petit, nous avons donné vie aux mots, pour conjuguer les talents qu’ils soient amateurs ou professionnels pour faire de cet ensemble disparate voire antagoniste, une œuvre dramaturgique où tout se mélange et invite au voyage, qu’il soit sonore, visuel ou narratif.
Est-ce que la pandémie et les confinements ont modifié la création de cette œuvre, bouleversé justement, son rapport au temps ?
Durant plusieurs mois, nous avons été à l’arrêt, confronté à ce temps qui s’écoule au ralenti, forcément différemment de ce dont nous avons l’habitude. Certains textes ont été réécrits, car nous avons compris dans nos chairs – certes à petites doses, ce qu’est l’enfermement, l’impossibilité de voir l’autre, d’être isolé du monde. Tout a été repensé pour coller au plus près des nouvelles réalités, des changements de paradigme, d’être dans le temps présent. C’est d’autant plus important que cela modifie notre perception du monde.
Watch d’Olivier Fredj, au Théâtre du Châtelet, du 4 au 6 septembre