Voilà une exposition singulière chez Almine Rech : une seule œuvre, mais pas n’importe laquelle… les excentriques Ida Tursic et Wilfried Mille savent toujours être là où on ne les attend pas.
L’espace est certes petit. Il s’agit dudit front space de la galerie Almine Rech, rue de Turenne, qui se présente à la manière d’une large vitrine d’exposition donnant sur la rue. Toutefois, lorsque j’apprends qu’une seule œuvre y sera présentée, l’information m’intrigue, ayant en tête la foisonnante exposition du couple d’artistes au Consortium de Dijon, découverte au printemps dernier. Pour rappel, il y avait l’adorable série de petites peintures sur bois montrant des personnages, le plus souvent un couple – eux-mêmes évidemment – se léchant les doigts, non plein de chocolat, mais de peinture justement. « Ce sont des personnages « beckettiens » aux prises avec la peinture et son rituel, avec les pathologies inhérentes à ce langage (l’éternel malentendu entre l‘image et la peinture etc.). Ils sont (comme des concepts) soumis à des rituels étranges et archaïques », explique Wilfried Mille. Une déclaration d’amour absolue au médium peinture, mise en scène avec humour et tendresse. Deux mots qui définissent bien la marque de fabrique du couple qui aime aussi peindre des rébus ironiques. Là, encadrant un dessin de lapin au style volontairement enfantin, on pouvait lire « Lapin…Ture », clin d’œil au conte satirique écrit en 1976 par l’artiste Niele Toroni racontant les mésaventures d’un petit lapin méprisé par ses camarades, dont voici un extrait : « Tout le monde aimait bien Lapin Tur : faut dire qu’il n’était pas gênant, se tenait toujours à sa place et n’ayant pas beaucoup de caractère, bien qu’étant très malin, il comprenait vite ce qu’on attendait de lui et s’y adaptait selon les circonstances ». Tursic et Mille ne cessent de questionner le statut de la peinture, rappelant avec malice combien elle fut, dans les années 1990, considérée comme « notablement et institutionnellement indésirable » note Wilfried Mille, époque où le couple commence justement à aiguiser son fulgurant esprit de contradiction, en choisissant d’être peintres. Plus loin, l’hilarante « Cosa Emmental », toile abstraite dans laquelle s’invitait un morceau de fromage, nous questionnait sur l’inspiration et le mauvais goût, tandis qu’au centre de l’exposition, nous toisait une famille d’adorables bichons frisés. La toile Tenderness y était aussi. Or, chez Almine Rech, elle sera isolée, sacralisée pourrait-on dire : « Tenderness est une reprise d’un tableau d’Asger Jorn (membre de Cobra et cofondateur des situationnistes), datant de 1959. Il avait acheté aux puces une petite croûte, un paysage sur lequel il avait peint expressivement un « canard inquiétant ». On a découvert ce tableau lorsque nous étions étudiants aux beaux-arts de Dijon et ça a été une véritable révélation pour nous. Alors qu’en France la peinture nous semblait un peu moribonde et autoflagellatrice, Jorn insufflait un esprit de fraîcheur, d’humour, de liberté et d’insolence. Ce tableau nous montrait que tout était possible et que la peinture était un outil aussi simple que puissant. Tenderness est une reprise augmentée d’un tableau qui lui-même était un détournement et cette exposition sera une ode à la liberté » explique Wilfried Mille.
Tenderness. Du 7 septembre au 24 septembre. Galerie Almine Rech.