Inspiré de « L’Amérique » ainsi que d’autres textes de Kafka, « Donnez-moi une raison de vous croire», confronte des chômeurs aux recruteurs d’un mystérieux Théâtre de la Nature d’Oklahoma. Un spectacle musical avec les élèves du Groupe 42 de l’école du Théâtre national de Strasbourg, efficacement mis en scène par Mathieu Bauer.
L’homme insiste : « Je veux bien rester debout. » Sa démarche n’est pas très assurée. Mais il tient droit. En équilibre précaire sur ses deux jambes, plein de bonne volonté. « Je suis d’accord pour rester debout », répète-t-il à la femme qui officie dans ce qui ressemble à la fois au secrétariat d’une troupe de théâtre et à un bureau de recrutement. Elle l’encourage : « C’est bien. C’est un début ». Lui demande de dire un texte. D’abord déconcerté, il se lance, bafouille une série de nombres. Des nombres qui bientôt s’ajoutent à d’autres nombres dans un fol emballement. Là-dessus la femme chante. On ne sait pas si c’est pour compenser le flux incessant émis par l’homme ou simplement pour offrir un accompagnement hautement paradoxal à ses énumérations interminables. Une chose est sûre, c’est qu’à ce duo dissonant se superpose un brouillage de guitare qui ajoute encore à l’effet d’entropie. Bienvenu au Grand Théâtre de la Nature d’Oklahoma, d’après le dernier chapitre de L’Amérique de Kafka, dont Donnez-moi une raison de vous croire, spectacle du Groupe 46 de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg s’inspire très librement. Sur un texte de Marion Stenton, cette création mise en scène et en musique par Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny nous plonge dans un univers doucement cabossé dont l’esthétique emprunte fortement à l’esprit dada et à l’expressionnisme des années 1930. Ponctué de séquences chorales, le spectacle fait défiler une galerie de personnages plus ou moins éclopés, figures fantaisistes ou lunaires interprétées avec une touche d’humour. Il y a par exemple ce pianiste empêché de jouer car ses mains sont blessées dont les larmes fusent en jets puissants sur le visage du recruteur. Il y a cette femme armée d’un marteau. Il y a celui qui se présente comme comédien avant de se grimer en clown. Chaque arrivant dans le Théâtre de la Nature d’Oklahoma doit préciser son ancien métier avant de s’en voir attribuer un nouveau. C’est pour cela qu’on leur demande « donnez-moi une raison de vous croire ». Ils doivent faire la démonstration de leurs capacités. Pour les élèves du TNS, l’occasion est trop belle d’exposer un aperçu de leurs talents. D’autant que si l’on se réfère au tract reproduisant un extrait du roman distribué à l’entrée de la salle Maria Casarès à Montreuil où ce spectacle a été créé en juin il ne faut surtout pas rater sa chance. « Chacun est bienvenu chez nous », est-il écrit. « Mais hâtez-vous de vous présenter car à minuit nous fermerons et nous n’ouvrirons plus jamais. Malheur à qui ne nous aura pas crus. » Pas étonnant avec un tel laïus qu’il règne dans ce spectacle plein de charme une atmosphère un peu trouble. Un mélange de frénésie et d’hésitation anime les héros de cette intrigante opération d’embauche relevant de l’univers du conte. Comme enivrés par la musique variant entre fanfare jazzy, blues et bruitisme, les acteurs chantent des parties du texte ou entonnent des airs tirés du répertoire classique quand ils ne se laissent pas envahir par le fantôme de Howlin’ Wolf au gré d’une transe aussi folle que sauvage. Beau travail.
Donnez-moi une raison de vous croire, texte et dramaturgie Marion Stenton, mise en scène Mathieu Bauer, musique Sylvain Cartigny. Du 23 septembre au 1er octobre au Théâtre national de Strasbourg.
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