La transmission du Sacre de Pina Bausch à trente-huit danseurs africains est le projet de danse le plus hors normes de la décennie. Comme un destin qui s’accomplit par la grâce de Germaine Acogny.
Ce spectacle, nous aurions dû le voir depuis longtemps. En arrivant enfin chez nous, ce Sacre du printemps marque la fin d’un périple compliqué, après une série d’annulations dues aux confinements successifs. Reprendre le Sacre de Pina Bausch avec trente-huit danseurs de quatorze pays africains, c’est une gageure. Car c’est bien sûr sur le Vieux continent que ce Sacre est appelé à tourner et faire tourner les têtes des spectateurs.
On va souvent voir des spectacles de danse par curiosité, pour découvrir ce qu’on n’a pas les moyens d’imaginer. Ici, on voit tout à l’avance et pourtant c’est attirant. Toute personne s’intéressant à la danse a une idée de cette pièce fondatrice, mythique et dramatique de Pina Bausch. Ce Sacre, c’est l’émotion pure du début à la fin, un groupe galvanisé, la musique ardente, frénétique de Stravinski, le terreau au sol, l’incroyable solo de l’Elue qui sera sacrifiée. Cette pièce sur la relation éternelle entre l’homme et la nature trouve un écho plus strident que jamais en ces temps de coronavirus, et bien sûr quand il s’agit de la faire interpréter par des êtres vivants sur le sol de l’un des berceaux de l’humanité.
Germaine Acogny a quant à elle une relation particulière avec cette œuvre. Jeune danseuse, celle qui a aujourd’hui dépassé le seuil des soixante-dix ans, dansait chez Maurice Béjart qui lui aussi a donné au monde une célèbre variation sur ce thème. « Tu seras mon Elue noire », lui avait-il un jour promis. Mais il fallait attendre 2014 et l’envie d’un autre chorégraphe français audacieux, Olivier Dubois, pour qu’elle puisse, seule, rencontrer une idée du Sacre, dans Mon élue noire, sacre # 2. Mais LeSacre du printemps est une œuvre portée par un intense rapport à la terre, et là, Acogny est bien placée pour porter un tel projet, ayant développé sa propre technique de danse qui prend racine dans la nature.
Mais Acogny est ici dans un autre rôle que celui de chorégraphe. Elle dirige, depuis 1998, avec son mari Helmut Vogt, l’Ecole des Sables, un village pour la danse en proximité d’un village de pêcheurs, au sud de Dakar. Ici se déroulent en permanence des stages et des rencontres, et c’est ici même que s’est fait le choix final des interprètes du Sacre, transmis aux jeunes danseurs africains par quelques interprètes aguerris du Tanztheater Wuppertal. Parmi eux, Malou Airaudo, la Marseillaise qui a dansé aux Ballets de Marseille, Monte Carlo et New York et, dès 1973, chez Pina Bausch. Acogny et Airaudo saisissent l’occasion pour créer Common Grounds, un duo où elles dansent et dialoguent comme deux amies, mères et pionnières de la danse, autour de tout ce qui fait la vie de femmes qui ont consacré leurs vies à l’art chorégraphique. Avec tous ces fils qui se nouent entre les époques et les continents, on aurait presque oublié de mentionner le surnom d’Acogny, qu’elle n’aime pas trop mais qui n’en est pas moins pertinent, car on la nomme « la Pina Bausch de l’Afrique ».
Le Sacre du printemps de Pina Bausch. Et Common Grounds de et avec Germaine Acogny et Malou Airaudo. Espace Chapiteaux de La Villette (avec le Théâtre de la Ville). Du 19 au 30 septembre.
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