Araignée géante, monstres poilus, sculptures organiques et massacre à la scie…Une quarantaine d’artistes se réapproprient au CentQuatre les codes de la fête foraine pour une expérience autant ludique qu’esthétique et intellectuelle.

Le ludique envahit le monde de l’art, et avec lui les notions d’immersion et d’interactivité. L’ambition souvent énoncée, certes louable, serait d’intéresser un plus large public à l’art contemporain. Mais cela se fait souvent au détriment de l’expérience esthétique et intellectuelle. Conscient de l’écueil, José-Manuel Gonçalvès, directeur du CentQuatre (rejoint par le journaliste et commissaire d’exposition Fabrice Bousteau ) a pris le risque de lancer l’idée d’une fête foraine de l’art contemporain. Pari réussi car, si celle-ci est un événement bien ludique, une belle place est laissée à la possibilité d’une réflexion artistique et sociétale. Les corps des visiteurs expérimentent des situations amusantes. Martin Creed plonge les visiteurs dans la matière plastique aux couleurs vives de son installation minimaliste. Leandro Erlich renverse les perspectives d’un immeuble que les spectateurs font semblant d’escalader. Mais tous deux désorientent la perception des visiteurs. Le premier sature l’espace de ballon, rendant ainsi visible l’air. Le second brouille la réalité en jouant avec l’illusion d’optique.

La foire foraine du CentQuatre s’empare de tous les éléments du langage de la fête foraine : pêche à la ligne pour amateurs de chocolat par la compagnie La Machine, gaufres en forme de Space Invader du street artiste Invader, stand de tir de Pilar Albarracin pour dégommer des reproductions d’oeuvres de l’histoire de l’art, manège de vieux canapés imaginé par Pierre Ardouvin. Autour de cette halle centrale, sept espaces organisés de manière thématique engagent le visiteur dans autant d’univers où se mêlent train fantôme, attraction à sensation et cartomancienne. Tout commence avec l’artiste Julio Le Parc, qui, rappellent les directeurs artistiques, reçut le Grand Prix de Peinture de la Biennale de Venise de 1966 pour son pavillon aux codes de la fête foraine. Près de cinquante ans plus tard, il se réapproprie le traditionnel palais des glaces pour proposer une perte des repères à travers des reflets mouvants de soi-même. Dans Espace à pénétrer avec trame flottent des miroirs suspendus formant un labyrinthe. Avec cette nouvelle œuvre, l’artiste prolonge l’idée du GRAV, le Groupe de Recherche d’Art Visuel qu’il co-fonda dans les années 60, de placer le visiteur au centre de l’œuvre. Cette dernière n’existe qu’à partir du moment où celui-ci l’active par sa participation. Une manière de s’opposer à la passivité et à l’habitude et d’inciter à l’action. Dans cette droite lignée, FFAC permet de manipuler les œuvres d’art des artistes. Dans l’espace « Le Grand Chamboule-tout », il est possible de viser avec force l’image de l’artiste Orlan, de faire un bras de fer avec Mr Muscle de Pilar Albarracin ou de se lancer sur une piste étroite dans une unique voiture auto tamponneuse qui, littéralement, s’auto-tamponne.

La question de l’action et des choix individuels est aussi abordée dans l’espace « Faites vos jeux ». Il y est possible de déshabiller ou de rhabiller Orlan, de se faire insulter par la roue de la fortune de Pascale Marthine Tayou ou de vendre ses données pour récupérer des jetons de casino. Avec Casino Las Datas, les artistes Sylvia Fredriksson, Albertine Meunier et Filipe Vilas-Bordas s’en prennent à la passivité des internautes qui cèdent sans réfléchir, et souvent pour rien, leurs données personnelles. Cette œuvre, qui aborde l’économie du web, fait échos à l’œuvre du street artiste Encoreunestp et son distributeur aléatoire de likes d’artistes. 

« Esprit es-tu là ? » s’inspire de la roulotte de la cartomancienne. Les artistes y convoquent l’imperceptible avec poésie, humour ou en collaborant avec des chercheurs. Dans un micro-théâtre plongé dans le noir se joue « La Veilleuse, Cabaret holographique ». Ce spectacle de la compagnie Cie 14:20 interprété par des artistes fantômes, s’inspire de la veilleuse installée sur les plateaux de théâtres déserts pour éloigner les esprits. Il rend hommage, avec grâce et douceur, à l’obstination de cette lumière. Le paranormal est ensuite abordé avec humour par Pablo Cots qui propose des prédictions 2023 offertes sous la forme de flyers de marabouts. Au mur sont affichés des livres, affiches, cartes postales et t-shirts aux slogans drôles et aguicheurs : « How to avoid a figurative painter », « Les curators et l’alcool » ou « Le world tour de Matisse ». Dans la salle suivante, la machine « As We Are Blind » de Véronique Béland étudie les données physiologiques des visiteurs. Interprétées, elles produiront une photographie de leur aura et une composition musicale personnelle en résonance avec leur état.

 Le chorégraphe, acrobate et metteur en scène Yoann Bourgeois, reconnu notamment pour ses figurent qui chutent, s’empare de l’attraction à sensation. Un escalier en acier dès plus épuré mène à un plongeoir. Tout au long de son ascension, le visiteur répond à des questions qui invitent à l’introspection : D’où viens-tu ? De quoi as-tu peur ? A quoi as-tu renoncé ? De quoi rêves-tu ? Devant cette dernière interrogation, deux choix sont proposés, redescendre ou sauter dans le vide. A travers cette esthétique minimaliste et la justesse des questions, l’expérience « Face au vide » devient existentielle. La fête foraine ne pouvait enfin exister sans son train fantôme. « Le train-fantasmes » traverse les songes les plus sombres de huit artistes ou duo d’artistes que sont notamment Berlinde de Bruyckere, Loris Gréaud et Delphine Reist. Nous n’en dévoilerons que quelques idées, la surprise étant de mise : araignée géante, monstres poilus, sculptures organiques et massacre à la scie.

Avec cet événement, explique José-Manuel Gonçalvès, « nous essayons de dépasser les représentations et les déterminismes pour aborder le sujet le plus intéressant : comment vivre et partager une œuvre d’art. » FFAC réussit à faire vaciller les repères et les codes en mariant avec justesse deux mondes, sans tomber dans la démagogie. 

FFAC, Foire Foraine d’Art Contemporain. CentQuatre. Jusqu’au 29 janvier 2023.

https://www.104.fr/fiche-evenement/foire-foraine-d-art-contemporain.html